La vie quotidienne à la faculté de droit de Paris pendant la Grande Guerre


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« Il y a dans la vie d’une Faculté, comme dans celle d’une famille, des faits qui se répètent, à peu près toujours les mêmes, ce sont les plus nombreux et les plus nécessaires. Il y a aussi quelquefois des faits nouveaux, apportant une modification, petite ou grande, dans leur organisation et leur fonctionnement. Ils sont nécessaires eux aussi, mais il ne faut pas qu’ils se répètent trop souvent, sous peine d’amener une instabilité trop grande dans une existence dont la continuité et la régularité sont en quelque sorte la loi fondamentale. La vie des corps, comme celle des familles, comporte enfin des événements heureux et aussi des événements malheureux. Sans cela serait-elle vraiment de la vie ? » ; ces remarques sont exprimées par le doyen Ferdinand Larnaude en 1921, dans le rapport annuel sur les établissements d’enseignement supérieur de l’académie de Paris (faculté de droit). Larnaude, qui est doyen depuis le 1er novembre 1913 voit encore les conséquences de la guerre sur son institution au moment où il écrit ces lignes. Une institution qui a effectivement passé la période de la guerre à s’accrocher à sa normalité, sans pouvoir échapper aux incidences des événements.

Avant-guerre, la vie quotidienne de la faculté de droit de Paris s’incarne dans une organisation administrative et pédagogique, un bâtiment, des professeurs, des personnels administratifs et de bibliothèque, des enseignements, des étudiants, le tout régit par des règlements, des traditions, une histoire.

Ainsi, la faculté est dirigée par un doyen – Ferdinand Larnaude depuis le 1er novembre 1913, et jusqu’au 1er novembre 1922. Les deux organes de décisions propres à la faculté sont le conseil et l’assemblée. Le Conseil gère les questions disciplinaires, les propositions pour les chaires vacantes, et la gestion du budget à travers la validation des comptes annuels et surtout la gestion complète des legs et fondations de la faculté. L’assemblée gère les questions pédagogiques et scientifiques. Au-dessus de la faculté, le conseil de l’université de Paris, sous la direction du vice-recteur, décide du budget pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de la capitale, a le dernier mot sur les attributions, modifications et maintiens de chaires et est le lieu d’élaboration d’une politique commune pour les établissements de l’académie, notamment dans le domaine des relations internationales, et un des lieux de discussion des politiques nationales.

La faculté compte en 1914 quarante-cinq professeurs, professeurs adjoints ou agrégés pour un public d’environ 8 000 étudiants, une équipe de dix personnes à la bibliothèque, du bibliothécaire en chef aux garçons de salle, et au moins une vingtaine de personne pour l’administration et l’entretien du bâtiment, du secrétaire de la faculté aux concierges.

La rentrée se fait habituellement autour du 10 novembre. La majorité des étudiants sont inscrits soit en licence, soit pour la capacité. La licence s’obtient en trois ans, la capacité en deux. Un système d’inscriptions non cumulatives, et à prendre en personne quatre fois dans l’année, est en place pour garantir l’assiduité des étudiants. Un étudiant qui n’est pas à jour de ses inscriptions n’est pas autorisé à passer son examen de fin d’année. Les enseignements sont annuels, avec des examens finaux en juillet. Des rattrapages sont organisés fin octobre-début novembre. Les enseignements donnés comprennent à la fois les cours proprement dits, et des conférences facultatives, assurées par les professeurs, professeurs adjoints, et les agrégés de la faculté. Ces conférences sont payantes à l’année, et apportent des exercices pratiques au niveau licence et l’approfondissement de questions au niveau du doctorat. Chaque année, les étudiants de licence les plus méritants sont invités à participer aux concours de fin d’année, avec deux compétitions à chaque niveau de licence, plus un concours général au niveau national pour les troisième année. Les doctorants, en dehors des prix de thèse, peuvent aussi participer au concours de doctorat, et postuler pour divers concours organisés et prix remis par la faculté.

Pour l’essentiel, cet état de chose persiste pendant la guerre : la faculté ne déménage pas ; le doyen reste en poste (il est même réélu en 1919) ; le conseil et l’assemblée de la faculté continuent à se réunir régulièrement pour valider les horaires des cours, les dates de rentrée et d’examens, les sujets des cours et des conférences, pour approuver ou non les propositions de cours libres, pour voter les comptes budgétaires chaque année et gérer les rentes et investissements de la faculté ; les cours sont professés, les conférences données, les diplômes délivrés ; les différents concours de fin d’année organisés par la faculté sont maintenus. La bibliothèque comme les sept salles de travail spécialisées continuent à fonctionner et à accueillir étudiants et lecteurs extérieurs.

Cette persistance n’est toutefois assurée que par des adaptations constantes à la réalité créée par la guerre. Et si ces adaptations sont vues comme ponctuelles, certaines se révèlent durables.

Des adaptations

La faculté de droit de Paris ne déménage pas et n’est pas envahie pendant la guerre. Il y a cependant deux périodes, en août-septembre 1914 et au printemps 1918, où une entrée rapide des troupes allemandes dans Paris est redoutée. Dans cette éventualité, la faculté prend certaines mesures de son propre chef et reçoit aussi des instructions.

Si le rectorat demande début septembre 1914 la mise à l’abri de toutes les collections précieuses (tableaux, sculptures, archives, manuscrits, livres rares et précieux), celles-ci ont été inventoriées, retirées de leurs lieux de stockage habituels, et placées dans des caisses, dans les caves de la faculté, dès la fin août. Surtout, la faculté se doit de savoir comment réagir en cas d’incendie, qui est le risque le plus important envisagé ; des formations en ce sens sont assurées par les pompiers, qui fournissent également des instructions rédigées à distribuer. La faculté n’étant pas équipée pour ce risque, le matériel adéquat est acquis.

La menace étant manifestement réduite à partir de la fin de l’année 1914, on observe que lorsque, pour faire face à la pénurie de papier, le rectorat s’adresse à la faculté en 1916 pour savoir si elle aurait des vieux papiers à vendre, ce sont notamment ces fameux stocks d’instructions des pompiers qui sont vendus au plus offrant.

L’angoisse revient cependant au printemps 1918 avec les dernières manœuvres pressantes des Allemands. Cette fois, la faculté se prépare aux bombardements et à l’évacuation de Paris : les caves ont été réquisitionnées par les autorités comme abri pour 1 100 personnes en cas de bombardements, avec si besoin une aide assurée par la police à l’extérieur et par des surveillants volontaires à l’intérieur du bâtiment. Des affiches annonçant ces mesures ont été mises en place dans la faculté. Si les bombardements atteignent bien Paris, la faculté est épargnée, et l’ordre de repli de Paris, un temps évoqué, n’est jamais donné.

Autre conséquence matérielle, dès septembre 1914 les finances de l’État sont réorientées pour soutenir l’effort de guerre. Le rectorat puis le ministère envoient successivement des instructions aux facultés pour stopper toutes les dépenses, et même annuler les commandes qui peuvent encore l’être. En 1915, l’État ne participant pas au budget, la faculté de droit de Paris ne peut compter que sur les finances de l’université et ses ressources propres. À partir de 1916, l’État se réinvestit très modestement, en augmentant sa subvention progressivement d’année en année ; en 1920, celle-ci n’a toutefois pas encore retrouvé le niveau de 1914, alors même que la cherté de la vie fait que tout matériel coûte à ce moment-là environ le triple d’avant la guerre.

Ces conditions contraignent le doyen Larnaude à mettre en place une politique d’économies strictes, en réduisant notamment drastiquement le budget de la bibliothèque. La question du chauffage, dont le prix augmente de manière très importante, devient un problème récurrent et de plus en plus aigu. À l’hiver 1916-1917 s’y ajoute une demande du recteur de réduire au minimum indispensable les dépenses d’éclairage. Jusqu’aux vacances de Pâques de mars 1917, les horaires de la bibliothèque et des enseignements sont ainsi réaménagés pour être concentrés sur une partie de la journée, et les cours sont déplacés, regroupés dans les nouveaux bâtiments, afin de n’avoir à utiliser qu’une seule chaudière.

Les ressources propres de la faculté revêtent alors une importance cruciale. Ce sont elles, particulièrement à travers le fonds Goullencourt, qui permettent de continuer à verser leurs indemnités annuelles au personnel administratif et de bibliothèque, de verser des indemnités de cherté de la vie à partir de 1917 au personnel non pris en compte par l’État, de prendre en charge le salaire du garçon chargé de l’organisation matérielle des conférences, de continuer à assurer l’entretien et l’enrichissement des salles de travail spécialisées, mais aussi de faire participer la faculté aux emprunts nationaux successifs pour soutenir l’effort de guerre.

Une des caractéristiques de cette période est l’impact que les décisions d’autres ministères que celui de l’Instruction publique ont sur la vie de la faculté ; à commencer par les ordres d’incorporation.

Les premières mobilisations datent du mois d’août 1914, et les conséquences sur le public de la faculté sont énormes : d’environ 8 000 étudiants inscrits pendant l’année 1913-1914, le chiffre passe à un peu plus de 1 000 pour l’année 1914-1915, et il faut attendre les années 1920-1921 pour retrouver le niveau d’avant-guerre. Ces chiffres invitent à nuancer l’idée de normalité conservée dans la vie quotidienne de la faculté de droit de Paris. Les cours et conférences sont maintenus, mais les bancs sont particulièrement clairsemés. De même, la mobilisation touche de manière relativement importante les agents de la faculté. La moitié des effectifs de la bibliothèque (cinq sur dix) sont incorporés dès août 1914, et au moins une dizaine de membres du personnel administratif est également appelé sous les drapeaux. La bibliothèque et l’administration parviennent toutefois à maintenir un fonctionnement régulier, en sacrifiant le non indispensable.

C’est finalement le personnel enseignant qui est le moins touché par l’incorporation. Tout simplement parce que la grande majorité des professeurs a passé l’âge d’être mobilisée. Sur 45, en plus d’Hitier, qui se porte volontaire dès août 1914, seuls cinq sont appelés, et uniquement deux passent la guerre sous les drapeaux : Maurice Bernard, agrégé, engagé comme pilote, meurt en 1916 lors d’un exercice. Allix, agrégé également au début de la guerre, est d’abord sous-lieutenant commissaire rapporteur près du conseil de guerre de la 105e division d’infanterie, puis de la 133e division, puis dans le camp retranché de Paris. Or, la circulaire des ministres de la Guerre et de l’Instruction publique du 11 septembre 1915 prévoit la possibilité pour les membres de l’enseignement mobilisés d’exercer leurs fonctions professionnelles aux heures de liberté que pourraient leur laisser leurs obligations militaires. Plus encore, avec l’autorisation du ministre, les professeurs mobilisés peuvent donner leur enseignement. C’est ainsi que Demogue, Jèze et Percerou, forts de cette autorisation, passent toute la période de la guerre sans quitter la faculté de droit de Paris et qu’Allix, transféré à Paris, peut les rejoindre à la rentrée 1918. Cette disposition n’est pas un privilège pour les professeurs parisiens : Brunet, professeur à Aix, mais mobilisé à Paris, assure à la faculté de droit de Paris une conférence de doctorat de sciences politiques vacante au second semestre 1918-1919.

Tous ces éléments semblent expliquer assez facilement comment la quasi-totalité des cours et conférences continue à être assurée pendant toute la période de la guerre. La réalité est pourtant plus compliquée.

Avant-guerre, pour les cursus de capacité, licence et doctorat, une cinquantaine de cours et une douzaine de conférences étaient assurés chaque année à la faculté de droit de Paris, avec en 1913-1914 un contingent de 45 professeurs, professeurs adjoints et agrégés. Trois professeurs sont mobilisés, volontaires ou appelés. Par ailleurs, le professeur Geouffre de La Pradelle est en mission de propagande sur le continent américain pendant presque toute la guerre, et trois professeurs de la faculté (à tour de rôle) sont missionnés chaque année pendant plusieurs mois pour aller faire passer les examens à l’École française de droit du Caire. Si l’on ajoute à ces absences les morts de cinq professeurs – Massigli, Cauwès, Renault, Thaller et Audibert – entre juillet 1916 et juillet 1918 (ils ne meurent pas au combat), ce sont neuf enseignants, un cinquième du corps, qui finissent par faire défaut. Dans ces conditions, il est étonnant de constater que seuls deux cours passent vraiment à la trappe sur cette période : droit administratif (contentieux et finances), cours de doctorat mention sciences juridiques, et statistique, cours de doctorat mention sciences politiques et économiques.

En fait, les cours et conférences sont maintenus, d’une part grâce à un jeu de chaises musicales permanent, d’autre part par l’appoint que constitue l’arrivée de collègues chassés de leurs universités par la guerre : les professeurs Lacour et Lévy-Ullmann, de la faculté de droit de Lille, sont chargés des fonctions d’agrégés à la faculté de droit de Paris pour la durée des hostilités, par arrêté ministériel du 27 octobre 1916 ; les professeurs Bourcart, Carré de Malberg, Rolland, et le chargé de cours Oudinot, de la faculté de droit de Nancy, sont quant à eux rattachés temporairement à la faculté de droit de Paris de mars à décembre 1918.

La faculté de droit de Paris est ainsi très loin d’être épargnée par la guerre. Au décompte final, son Livre d’or comporte près de 700 noms d’étudiants, anciens étudiants ou membres du personnel morts au champ d’honneur. Bien plus, il y a pendant toute la guerre comme une omniprésence de la mort dans la vie quotidienne de la faculté. Dès septembre 1914, des tableaux avec la liste des morts de la faculté, mis à jour régulièrement, sont installés dans l’entrée de la rue Saint-Jacques, lieu de passage constant pour les étudiants, les professeurs et le personnel. À partir de la rentrée 1916, un espace est réservé à la bibliothèque aux memorabilia envoyés par les familles sur leurs proches morts au combat. Chaque fin d’année, dès l’année 1914-915, les concours de licence commencent par les candidats et l’assemblée de la faculté écoutant debout la lecture par le doyen des noms des anciens lauréats morts au champ d’honneur. À cela s’ajoute la litanie des noms, des morts égrenées au long des réunions du Conseil et de l’assemblée de la faculté : Hervé Maguer, garçon de bibliothèque, en août 1914 ; Paul Viollet, bibliothécaire en chef, en novembre 1914 ; le professeur Massigli en juillet 1916 ; le professeur Maurice Bernard en octobre 1916 ; le professeur Cauwès en avril 1917 ; Daniel Bellet, en charge de cours libres, à l’été 1917 ; le recteur Louis Liard à l’été 1917 ; le professeur Renault en février 1918 ; le professeur Thaller en mars 1918 ; le professeur Audibert en juillet 1918 ; le professeur Beauregard en mars 1919 ; le recteur Lucien Poincaré en mars 1920. Et si les professeurs ont passé l’âge de pouvoir être appelés sous les drapeaux, ce n’est pas le cas de leurs fils. Ainsi, dans la litanie des noms cités dans les discussions, on retrouve aussi les fils des professeurs, Audibert, Bartin, Beauregard, Bourguin, Deschamps, Gide, Leseur, Massigli, Meynial, Pillet, Planiol, Saleilles, Thaller, tous morts au champ d’honneur.

Pour rendre hommage à tous ses disparus, autrement que par les tableaux provisoires de la Grande Galerie, la faculté prend des mesures dès 1914-1915 pour réunir souvenirs et documentation et ses efforts aboutissent d’une part à la création d’un fonds d’archives conservé à la bibliothèque de la faculté, et d’autre part à la publication d’un Livre d’or et à l’élévation d’un monument aux morts, dans le hall d’entrée côté rue Saint-Jacques, en 1925.

Des évolutions

Prise ainsi dans les méandres de la guerre, la « vieille maison » tente de maintenir son cap et de résister en partie à certaines adaptations entraînées par les circonstances. C’est le cas notamment avec l’instauration de régimes spéciaux pour les étudiants mobilisés.

Si une session spéciale d’examens est organisée à la mi-septembre 1914, c’est une des rares actions mises en place jusqu’en 1917. Jusque-là, et la faculté, et l’administration supérieure, rechignent à prendre des mesures pour telle ou telle classe d’étudiants, renvoyant à des solutions en bloc au moment de l’après-guerre. Mais, sous la pression du Parlement, le ministère et le rectorat doivent s’y préparer, et demandent, en mars 1917, des propositions sur les aménagements possibles aux différentes facultés. La faculté de droit de Paris désigne une commission interne à la fin mars 1917 pour faire un rapport sur le sujet, et liste au passage une partie des questions à poser : question des modifications dans le nombre d’épreuves, dans les programmes, dans les modes d’examens ; question de l’organisation des sessions pour faire passer plus rapidement les diplômes. Le rapport de la commission est présenté par Capitant en mai, et une vive discussion se tient de mai à fin juin. Les critiques portent surtout sur l’idée que ces mesures introduiraient des inégalités entre les étudiants de la filière classique et ceux du régime spécial, et le risque de créer des diplômes au rabais. Des résolutions sont malgré tout votées et transmises au Rectorat.

La question rebondit, en des termes légèrement différents, à la rentrée 1917, à la suite d’une circulaire ministérielle qui prescrit d’offrir un enseignement particulier pour la classe 1919, afin qu’ils aient passé leurs examens avant leur incorporation en avril 1918 – ce qui avait été refusé à la classe 1918. La faculté décide de ne mettre en place un enseignement spécifique que pour les étudiants en licence ou capacité, sur un semestre. Chaque professeur est libre de déterminer dans son cours les essentiels à enseigner dans ce premier semestre, du complémentaire qui le sera au second, même si les programmes devront être déterminés dès l’abord. Or, plus que les propositions votées en juin 1917, c’est cette organisation qui survit dans les dispositions ultérieures.

En effet, le décret du 10 janvier 1919 réglant la situation scolaire des étudiants sous les drapeaux, outre l’autorisation d’inscriptions cumulatives et l’organisation de quatre sessions d’examens par an (janvier, mars, juillet et octobre), introduit des programmes réduits sur le modèle de ce qui a été fait pour la classe 1919. Une capacité peut ainsi s’obtenir en un an, et une licence en dix-huit mois.

Cette organisation particulière pour les étudiants démobilisés est le dernier grand défi apporté par la guerre à la faculté. Le programme aménagé pour la classe 1919 est renouvelé pour la classe 1920. Les premiers sursis et démobilisations en 1919 entraînent les premières sessions spéciales d’examens, essentiellement à partir d’octobre 1919, accompagnées de conférences pour les démobilisés, destinées à dispenser une préparation accélérée aux examens. L’année la plus chargée est 1920-1921 avec près de 9 500 étudiants, et surtout plus de 14 000 examens subis. Pour faire face, il n’est pas possible en 1920 de faire appel, comme cela était le cas dans le passé, à des professeurs des universités de province. Un arrêté ministériel permet pour la première fois de recruter comme examinateurs auxiliaires de simples docteurs en droit. Cette disposition est très appréciée, et reconduite pour les années suivantes. Ce n’est cependant pas suffisant pour affronter les cohortes de 1920-1921, aussi la faculté de droit de Paris reçoit-elle l’aide de 18 professeurs de province, en plus des onze docteurs auxiliaires. Parmi ces docteurs, un nouveau corps qui va s’institutionnaliser : celui des assistants. Ils sont huit pour cette première année, sept hommes et une femme, financés par le conseil de l’université. La faculté a fondé sa demande sur ses besoins en examinateurs, mais il s’agit bien d’assistants pour les salles de travail spécialisées et pour les professeurs qui en sont chargés.

Un groupe particulier d’étudiants est enfin à relever parmi les démobilisés : les étudiants américains. Ils sont 450 inscrits à la faculté de droit de Paris, accueillis de fin mars à fin juin 1919. Cinq cours spéciaux en français leur sont délivrés, avec tous les deux cours une conférence en anglais pour expliquer et évaluer. Huit professeurs assurent ces cours et conférences.

Cette entreprise s’inscrit dans une préoccupation constante pendant toute la guerre : comment attirer en France les étudiants étrangers pour lutter contre la concurrence des facultés allemandes ? L’idée d’une guerre du droit portée par les facultés françaises induit la nécessité d’une diffusion de la civilisation et de la science française la plus large et la plus efficace possible. À côté de la propagande par les relations, officielles ou non, entre facultés, et par la circulation des professeurs et de leurs publications, des questions sur la meilleure manière de faire venir les étudiants étrangers sont ainsi soulevées dès début 1916. Une commission est désignée en 1917 à la faculté pour établir un rapport sur le sujet, et des nouveaux types de cours sont mis en place en 1919, avec des diplômes acquis sur un semestre.

La faculté de droit de Paris traverse ainsi la Grande Guerre entre continuité, adaptation, et évolution. L’organisation quotidienne et les traditions ont été maintenues. La séance solennelle de rentrée avec distribution des prix aux lauréats est même réintroduite pour 1921. Mais sous cette façade, la faculté ressort profondément marquée de la guerre. D’abord par le lourd tribut humain qu’elle a payé, ensuite par les évolutions dans l’organisation de son enseignement qu’elle a dû assumer et intégrer, en partie à contrecœur pour les modifications de programme, avec plaisir pour les assistants. La guerre ayant imprégné toute la société, une des évolutions qu’elle entraîne à l’université l’est d’ailleurs presque de manière inconsciente : à partir de la fin 1918 est évoquée la mise en place d’un livret scolaire pour chaque étudiant ; le livret universitaire individuel est finalement instauré à partir de 1920, et l’administration tient à préciser qu’il devra « être d’un format analogue au format du livret militaire ».

Alexandra Gottely