La faculté de droit de Louvain : les professeurs en guerre


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À la veille de la guerre, en 1914, la faculté de droit de Louvain compte quinze enseignants en activité. S’y ajoutent deux professeurs émérites. Une partie de ces professeurs exerce une autre activité que l’enseignement. Ils sont, pour une partie d’entre eux, engagés au sein du Parti catholique et le cumul avec l’exercice d’un mandat politique, au niveau local ou national, ou avec un poste ministériel est assez fréquent. La guerre affecte donc leurs activités à plusieurs titres.

L’entrée en guerre et les événements d’août 1914 touchent de manière particulièrement brutale la ville de Louvain, et l’université plus encore. Le 2 août 1914, l’Allemagne transmet un ultimatum au gouvernement belge. Moins de quarante‑huit heures plus tard, les premières habitations sont incendiées près de la frontière allemande. Le 5 août, l’état‑major de l’armée belge s’établit à Louvain. Dès le 30 juillet, Monseigneur Deploige, le président de l’Institut de philosophie, ayant anticipé l’entrée en guerre, transformait les locaux dont il avait la charge en hôpital. Il y a, aux côtés de Mgr Deploige — qui enseigne le droit naturel — , plusieurs professeurs de la faculté de droit. Sur le registre des brancardiers on trouve les noms de Maurice Defourny et de Léon Dupriez. Le premier enseigne l’économie politique. Le second a la charge des enseignements de droit romain  ; il enseigne également le droit public comparé. À la comptabilité de l’hôpital, on trouve Alfred Nerincx, qui est notamment en charge du cours de droit pénal. Les professeurs y côtoient les étudiants.

Sous la poussée de l’invasion allemande, l’état‑major quitte Louvain pour Anvers le 18 août. Le lendemain, les troupes allemandes investissent la ville. Quelques jours plus tard, le 25 août, en début de soirée, à la suite de l’échec d’une contre‑offensive de l’armée belge, des violences éclatent. On entend des coups de feu dans plusieurs parties de la ville. En guise de représailles, face à ce qu’ils pensent être l’action de francs‑tireurs, les allemands mettent le feu à plusieurs points de la ville, entre autres aux Halles universitaires, où se trouve la bibliothèque et où sont conservées les archives de l’université. Ils mettent la ville à sac. Louvain est livrée au pillage. Des massacres de civils ont lieu. Les Dupriez font l’expérience de la brutalité des soldats allemands. Léon Dupriez en livrera plus tard un témoignage précis, pour qu’il soit consigné. Des soldats allemands se sont précipités sur sa maison, la plus importante de la rue, pour la piller. Avec sa femme et ses enfants, il est trainé hors de la maison. Ils sont tenus en joue pendant que d’autres soldats se précipitent à l’intérieur. Dupriez est blessé par un coup de baïonnette. La violence de l’armée allemande touche particulièrement la famille — ou plutôt la belle-famille — d’Édouard Descamps. Sénateur, ancien ministre des Arts et des Sciences  — et à ce titre responsable de l’enseignement, il est notamment en charge du cours de droit administratif, et il enseigne également le droit des gens. Son beau‑père et son beau‑frère sont traînés hors de leur hôtel particulier et ils sont exécutés. Les incendies continueront jusqu’au 30 août. Le jeudi 27, à 8 heures du matin, toute la population civile est expulsée parce que la ville va être bombardée. À l’hôpital Saint‑Thomas, Mgr Deploige refuse de partir. Nerincx est sollicité pour assurer provisoirement la fonction de bourgmestre. Il sera entouré d’un Comité de notables. Une proclamation aux habitants est affichée le 1er septembre. Ce même jour, le Comité tient sa première réunion à l’hôtel de ville.

Le sac de Louvain et les exécutions sommaires perpétrées par les troupes de l’Empire entraînent de vives réactions, tant en Europe qu’aux États‑Unis. Des professeurs allemands ripostent avec le «   Manifeste des 93  » qui nie tout crime de guerre. Un groupe de personnalités louvanistes, parmi lesquelles Descamps et Nerincx, demandent en vain qu’une enquête soit diligentée. En décembre 1914, un Comité central de secours aux sinistrés des deux cantons de Louvain voit le jour, dont Nerincx est le président. Le 1er février 1915, le bourgmestre Léon Colins, qui a rejoint la ville, demande à Nerincx de poursuivre sa mission comme bourgmestre auxiliaire pour tout ce qui concerne les rapports avec les allemands.

Louvain se réorganise et la vie reprend sous un régime d’occupation. Certains professeurs reviennent, comme Émile Vliebergh. Il est chargé notamment du cours de droit pénal et du cours de procédure pénale qui sont dispensés en néerlandais. Ces cours doivent mettre en adéquation la formation des étudiants avec la loi sur l’emploi des langues en matière judiciaire, qui rend obligatoire l’usage du néerlandais devant les juridictions pénales des provinces flamandes. L’enseignement n’est pas sa seule activité, lui non plus. Président des Caisses du crédit rural, il devient aussi administrateur du Fonds de secours belge des œuvres économiques en faveur des victimes de la guerre. C’est à ce titre qu’il soutient, au mois de septembre 1915, l’«  Appel en faveur du peuple belge aux Institutions Philanthropiques, aux Comités de Secours, aux Œuvres de Bienfaisance, à la Presse et à tous les Donateurs généreux  ». En février 1916, il participe à la fondation, à Louvain, du «  Werk der Lektuur voor Krijgsgevangen  » (L’œuvre de lecture pour les prisonniers de guerre) dont le but est de rassembler et d’acheter des livres et revues pour les envoyer en Allemagne. Très investi dans la cause flamande, Vliebergh assume la présidence du Davidsfonds (organisation catholique culturelle flamande) depuis 1911. Cela ne l’empêche pas de combattre l’activisme et de manifester son opposition à la création de l’«  Université von Bissing  » à Gand. Il manifeste la même opposition au souhait d’une autonomie administrative de la Flandre. Dans une adresse au chancelier allemand Bethmann‑Hollweg, à la suite de sa rencontre avec une délégation de membres du Conseil de Flandres, le 10 mars 1917, 70 personnalités belges, dont Vlierbergh, expriment leur mépris pour les «  infamies activistes  ». Et il signe encore, au mois de janvier 1918, une adresse de protestation au gouverneur‑général allemand  : le conseil des Flandres, quelques jours plus tôt, vient de proclamer l’indépendance de la Flandre. Le parcours de Vlieberg peut être rapproché du parcours d’Alfred Schicks, même si l’un et l’autre ne partagent pas les mêmes idées sur la question flamande. Schiks a lui aussi été chargé des enseignements en droit pénal et en procédure pénal en néerlandais, dès les années 1890. Il est par ailleurs l’auteur du premier ouvrage de droit pénal publié en néerlandais. Chargé, à la veille de l’entrée en guerre, des enseignements en droit fiscal et en droit notarial, il est resté lui aussi en territoire occupé et il réagit, comme Vliebergh, contre la création de l’ «  Université von Bissing  ». Sous le titre «  La question flamande  », il signe plusieurs contributions dans l’Âme belge.

Les parcours ne se ressemblent pas. Si Nerincx reste à Louvain, où il finit par assumer les fonctions de bourgmestre, si d’autres reviennent, comme Vlierbergh, ils sont nombreux à quitter la ville. Les exactions allemandes ont marqué les esprits et il est clair que l’université ne rouvrira plus ses portes. Comme les autres, les professeurs de la faculté de droit s’éloignent, se réfugient où ils peuvent, mettent leur famille à l’abri. Edouard Descamps a préféré partir. L’hôtel particulier des Descamps, installé dans l’ancien Collège d’Arras, est occupé par les allemands. Il rejoint Beloeil, son village natal, dans le Hainaut. C’est aussi le cas de Léon Mabille. Professeur à la faculté de droit, où il enseigne le droit civil, il est également député et bourgmestre du Roeulx — dans le Hainaut également — depuis plus de dix ans. Il a pris l’habitude des allers et retours. Il s’y installe pour ne plus revenir. Il entend assumer ses fonctions de bourgmestre et il manifeste, dans l’exercice de son mandat politique, son engagement patriotique. Il se fait remarquer à plusieurs occasions, que ce soit pour s’opposer aux réquisitions allemandes ou pour s’opposer aux déportations qui frappent ses concitoyens à la suite de l’organisation du travail obligatoire. C’est aussi le cas de Joseph Van Biervliet. En charge de l’enseignement du droit judiciaire, également associé à Mabille dans l’enseignement du droit civil, il exerce aussi, depuis 1898, les fonctions de secrétaire de l’université. Lui aussi reste en Belgique. Lui aussi s’engage. Il prend la plume contre l’activisme, qui entend promouvoir l’autonomie flamande. C’est le cas, enfin, de Charles Terlinden. Il intègre l’auditorat militaire, puis rejoint le parquet de procureur du roi à Bruxelles.

Il y a ceux qui restent à Louvain. Il y a ceux qui s’en éloignent mais restent au pays, en territoire occupé. Il y a ceux enfin qui trouvent refuge à l’étranger. C’est le cas de Léon Dupriez, de Jean Corbiau, de Simon Deploige — Monseigneur Deploige — ou encore de Jules Van den Heuvel. Dupriez a fui avec les siens à Bruxelles, où il trouve refuge dans la famille de sa femme. Puis, comme d’autres, ils prennent le chemin de la Grande‑Bretagne. Il enseigne à Cambridge, où s’est formée une Université belge, qui accueille étudiants et professeurs réfugiés. Il donne encore une série de conférences à Londres, au sein de l’École des Sciences Politiques. Il part finalement aux États‑Unis. Invité à enseigner à Harvard en qualité de visiting professor, il y enseigne la science politique, d’abord en français, puis en anglais. Lui aussi, par‑delà l’Atlantique, manifeste son engagement patriotique. Dupriez devient l’un des meilleurs propagandistes de la cause belge. Il donne des conférences dans les principales villes américaines, rédige des articles dans des journaux, comme le New‑York Times et le Boston Herald. Son épouse, Marie Verriest, entreprend également, dès février 1916, une série de conférences sur le sort de la Belgique dans différents lieux. Les Dupriez se lancent ensuite, au mois de décembre 1916, dans un mouvement de dénonciation qui vise les déportations de travailleurs qui sont organisées par l’Occupant. En février 1917, Marie Verriest donne des conférences qui ont pour objectif de faire connaître à la population américaine les crimes commis par les allemands en Belgique, pour engager les américains à protester plus énergiquement.

Jean Corbiau s’installe en Angleterre et il y reste. Au début du mois de novembre 1914, il est annoncé pour des cours — non officiels — à Cambridge. Il semble s’être établi ensuite à Oxford, où son épouse décède, au mois de septembre 1915. En dehors de ses activités d’enseignement, Corbiau participe à de nombreuses initiatives patriotiques. Si bien que l’enseignement n’est plus que très accessoire dans ses activités de réfugié. Il devient vice‑président du Comité Économique, qui est créé à Londres au mois de juillet 1915, et qui a pour but d’étudier la reconstruction de la Belgique. À Oxford, il participe aux conférences organisées par l’Extension Universitaire Belge. Engagé contre les excès de l’activisme flamand, Corbiau est parmi les signataires de «  L’appel des universitaires belges  », début août 1915. Adressé à toutes les organes de la presse belge, il leur est demandé «  de renoncer à la publication de tout article qui serait de nature à réveiller l’antagonisme des langues et à compromettre la discipline et la concorde nationale  ». En septembre 1916, il est nommé président de la Commission no3 des quatre Commissions de recrutement et d’appel pour les belges de 18 à 40 ans qui siègent désormais à Londres. Dans le prolongement de ces fonctions, il assure les fonctions de membre civil suppléant du tribunal des sursis qui est également établi à Londres. Il finit par quitter l’Angleterre, au mois de mars 1918, pour rejoindre le gouvernement, alors installé à Sainte‑Adresse, près du Havre. Il est engagé au sein du ministère de la Reconstruction nationale. Il s’occupe, à partir du mois de juin 1918, au sein du ministère des Affaires Économiques, de la réparation des dommages de guerre.

Deploige, le président de l’Institut de philosophie, quitte Louvain au début du mois de décembre 1914. Après un détour par le Havre, il rejoint Rome. Il est chargé d’informer le Pape de la situation de la Belgique. Le gouvernement belge, comme l’université de Louvain, n’ont pas manqué de remarquer combien la réaction du Saint‑Siège à l’incendie des Halles universitaires avait été tiède. L’entrevue que Deploige a avec le Pape porte apparemment ses fruits. Au mois de janvier 1915, dans son allocution consistoriale, Benoit XV réprouve «  toutes les atteintes au droit, en quelques pays qu’elles aient été commises  ». Il mentionne tout spécialement «  le cher peuple belge  ». Mgr Deploige quitte Rome au mois de juillet 1915. Il passe par Le Havre pour rejoindre ensuite Paray‑le‑Monial. Il dépose à la basilique du Sacré‑Cœur un drapeau belge béni par le Pape. Après un temps de repos à Lourdes, il passe en Espagne. Il s’agit, là aussi, de faire œuvre de sensibilisation, de convaincre les intellectuels catholiques, généralement favorables aux empires centraux. Il rapporte enfin, après six mois de campagne, le manifeste A Belgica. Revêtu de 500 signatures, il réprouve sans réserve l’atteinte portée par l’Allemagne à la Belgique. Ces démarches diplomatiques, destinées à sensibiliser les puissances qui ne sont pas impliquées dans le conflit de même que les opinions publiques, ne constituent pas la seule action de Deploige. Il déploie également son activité dans l’assistance aux soldats. À Lourdes, où il séjourne au cours de l’année 1917, il ranime le Foyer du soldat belge. Ce sont plus de 40 000 soldats qui pourront trouver à Lourdes, lors de leurs permissions, un peu de repos. Son action est bientôt imitée. Un foyer anglais est y est créé en 1918, de même qu’un foyer polonais et un foyer américain.

Quant à Jules Van den Heuvel, il se distingue par un curriculum vitae politique important. À côtés de ses activités académiques — il enseigne le droit public — Van den Heuvel a été longuement ministre de la Justice. Ses services lui ont valu d’être nommé ministre d’État en 1907. Il assiste, en cette qualité, au Conseil de la Couronne qui se réunit autour du roi les 2 et 3 août 1914 pour décider, les allemands ayant exigé le libre passage de leurs troupes vers la France, de la réponse à apporter à l’ultimatum allemand. Il suit ensuite le gouvernement à Anvers, puis au Havre (Sainte‑Adresse). Le Moniteur belge — l’organe officiel de la Belgique — du 11 mars 1915 annonce sa nomination comme Envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire en mission spéciale auprès du pape Benoît XV.

Il faut encore évoquer la figure d’Edmond Carton de Wiart, qui reprend le cours de Van den Heuvel — le cours de finances publiques — lorsque celui‑ci prend la tête du ministère de la Justice. Ancien secrétaire de Léopold II, jusqu’en 1910, nommé ensuite à la tête du plus important établissement financier de Belgique, la Société générale de Belgique, il voit sa carrière dans la haute finance interrompue par la guerre. Dès le 2 août 1914, il s’engage, comme simple soldat, au 2e régiment de carabiniers. Il est envoyé à Anvers. Il rejoint ensuite le gouvernement au Havre. Il est envoyé à Londres pour représenter le gouvernement belge auprès de la Commission for relief in Belgium qui vient d’être créée par Herbert Hoover. Il part ensuite pour les États‑Unis, avec Paul Hymans et Émile Vandervelde, pour y chercher de l’aide. Il y retournera en 1915, aux côtés d’Alois Van de Vyvere, alors ministre des Finances.

Il y a enfin, parmi les professeurs de la faculté de droit réfugiés à l’étranger, un dernier cas qui doit être distingué. L’engagement «  patriotique  » d’un Dupriez ou d’un Corbiau a été forcé par les événements, et s’est déployé en plus de leurs activités d’enseignement, ou postérieurement à celles‑ci. Quant à Van den Heuvel, s’il a bien eu la charge d’un portefeuille ministériel, et s’il a la qualité de ministre d’État, sa conduite n’est pas dictée par des obligations politiques. Le parcours de Carton de Wiart non plus. Il n’en est pas tout à fait de même pour ceux qui, tout en faisant partie des professeurs de la faculté de droit, assument au moment de l’entrée en guerre des fonctions politiques nationales. C’est le cas de Prosper Poullet. Poullet, à côté de sa carrière universitaire, est lui aussi engagé au sein du Parti catholique. Député depuis 1908, il rejoint le gouvernement de Broqueville comme ministre des Sciences et des arts. Le 31 juillet 1914, à la veille de la guerre, il soutient avec énergie l’ordre de mobilisation générale que le roi vient de soumettre au conseil des ministres. Dans les jours qui suivent l’invasion allemande, le 17 août, il suit le gouvernement qui se réfugie à Anvers. Il y reste jusque début octobre. Le gouvernement quitte Anvers. Il s’embarque pour Ostende. Puis, quelques jours plus tard, c’est le départ pour le Havre. Poullet, qui est également, en tant que titulaire du portefeuille des Sciences, en charge de l’enseignement, effectuera plusieurs voyages entre le Havre — Saint‑Adresse — et les Pays‑Bas, où sont réfugiés de nombreux belges, puis vers l’Angleterre. Il effectuera des tournées d’inspection dans les lieux d’enseignement destinés aux réfugiés belges. La guerre affecte durablement la formation des cadres et des professions destinées à satisfaire les besoins sociaux et le fonctionnement de l’État. L’organisation d’examens universitaires finit par s’imposer. En août 1918, un jury central est constitué par Poullet aux Pays‑Bas chargé de faire subir, en outre, les épreuves préparatoires aux candidatures en philosophie et lettres, ainsi que celles pour le notariat. Il installe en octobre 1918 un jury central à Utrecht pour la collation du grade de docteur en droit.

L’engagement des membres de la faculté de droit dans la guerre a pris ainsi différentes voies. À des titres différents, et suivant leur profil et leur sensibilité, la plupart d’entre eux ont ne sont pas restés inactifs. Nombre d’entre eux ont manifesté, à des degrés divers, un engagement patriotique. Il n’en demeure pas moins que cet engagement a des limites. Leur âge les a tenus éloignés du front et des combats armés. Edmond Carton de Wiart s’est bien engagé, dès le 2 août 1914, comme simple soldat, mais il a très vite rejoint Anvers puis le Havre pour assurer des missions dans lesquels son expérience pouvait être plus utile. On pourra également mentionner Charles Terlinden, qui combattra à Melle, près de Gand, au mois de septembre 1914, mais son engagement armé reste de courte durée.

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L’activité engagée sous l’Occupation se poursuit le plus souvent après l’Armistice. L’engagement patriotique se prolonge en général dans les organes qui sont créés après la guerre dans la perspective de la reconstruction nationale et du repositionnement de la Belgique dans le concert des nations. Ce sera le cas pour une grande partie de ceux qui étaient professeurs au moment de l’entrée en guerre.

Nerincx exerce la fonction de bourgmestre auxiliaire jusqu’au 30 décembre 1918. Le 14 novembre 1918, il fait partie des personnalités restées au pays durant la guerre qui sont reçues à Gand par le roi Albert Ier. Désormais ce n’est plus comme bourgmestre que Nerincx est actif. Il part pour les États‑Unis et reprend, au mois de mars 1919, la direction du Belgian Official Pictoral Service (B.O.P.S.), un organisme qui est notamment chargé de la propagande par l’image, créé au printemps 1918 par le major Osterrieth, chef de la mission militaire belge à Washington. Nerincx est également engagé par les américains pour une tournée de conférences au profit de l’Emprunt de la Victoire, ce qui l’occupe jusqu’à l’été de 1919. En mai 1919, il publie anonymement une brochure dans laquelle il expose les revendications de la Belgique sur les Pays‑Bas. Mais le public américain ne s’intéresse pas à cette question territoriale. Peu à peu la représentation de la «  Belgique martyre  » disparaît des consciences. Poor little Belgium appartient déjà au passé.

Mabille, dont les idées sont très progressistes, intègre le Bureau du Belgisch Volksbond, également connue sous le nom de Ligue démocratique belge. La Ligue démocratique se fait remarquer, dans le contexte des bouleversements socio‑politiques de l’après‑guerre, alors que le roi vient d’imposer le suffrage universel masculin, en exigeant que le droit de suffrage soit ouvert aux hommes comme aux femmes.

Descamps assure la présidence de l’assemblée des Associations nationales pour la Ligue des Nations, qui se réunit, au mois de décembre 1919, à Bruxelles. Dans le contexte de la nouvelle configuration internationale qui s’impose après la guerre, ses travaux, auxquels la guerre a donné une nouvelle actualité, en particulier sa Neutralité de la Belgique, qui avait été publié en 1902, seront utiles à l’élaboration d’un nouveau statut international pour la Belgique.

Appelé par de Broqueville à rejoindre le gouvernement en exil au Havre, Dupriez a quitté les États‑Unis au début de l’année 1918. Il devient secrétaire du troisième comité de guerre dans le nouveau ministère de Reconstitution Nationale, créé le 1er janvier 1918. En octobre 1918, à la suite de la suppression du ministère de la Reconstruction nationale, il devient président‑rapporteur de la Commission pour l’étude de la réforme de la Constitution. Il rejoint quelques semaines plus tard, fin décembre 1918, le cabinet du Premier ministre et intègre la Commission spéciale chargée d’étudier les réformes à introduire dans l’organisation du Sénat qui est mise sur pied au mois de juin 1919. Il est sollicité dans la perspective de la révision de la Constitution qui va bientôt être proposée.

Après sa mission comme Envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire en mission près du Pape, Van den Heuvel, catholique, fait partie de la délégation belge qui se rend à Versailles. Les trois partis au gouvernement sont représentés. Van den Heuvel pour le Parti catholique, Paul Hymans, ministre des affaires étrangères, pour le Parti libéral et Émile Vandervelde, ministre de la Justice, pour le Parti ouvrier belge (futur Parti socialiste). Il est nommé délégué à la Commission des réparations des Dommages de guerre. Par son entremise, Terlinden rejoint la délégation belge à la Conférence de la paix lui aussi. Comme Carton de Wiart, qui y participe comme délégué financier, avant de présenter sa démission, en désaccord avec la politique des plénipotentiaires belges sur la question des réparations.

Prosper Poullet, sensible à la cause flamande, a pu prendre conscience de la situation des soldats flamands. À Louvain, au printemps 1919, il prononce deux discours qui sont publiés sous le titre La question flamande. Il y écrit que «  le développement normal des populations de langue flamande est lié essentiellement à la reconnaissance effective de leurs droits linguistiques  ». Au mois de mai 1921, il prononce un discours au Conseil catholique flamand de Hasselt, dans la province de Limbourg, sur La question flamande deux ans après l’armistice. Poullet prend la mesure de l’urgence de la satisfaction des griefs flamands. Poursuivant sa carrière politique, Poullet est brièvement Président de la Chambre des représentants en 1918‑1919. Après avoir été ministre à plusieurs reprises entre 1911 et 1925, il sera brièvement Premier ministre, en 1925‑1926

Si Poullet est acquis à la cause flamande, ce n’est pas le cas de Schicks, loin de là. Celui qui se pose de manière très explicite en défenseur de l’union nationale, qui avait manifesté une opposition très nette à l’ouverture de l’ «  Université von Bissing  » à Gand est victime, au mois de mars 1919, d’un attentat à la bombe. Quelques jours plus tard un Comité d’action patriotique est créé 
 : Schicks en devient le président. Le but de ce comité est de lutter contre les éléments antipatriotiques, professeurs et étudiants, qui sous la couverture du flamingantisme mettent en danger l’unité nationale. Un arrêté royal du 22 avril 1919 lui attribue la présidence du tribunal des dommages de guerre qui est établi à Louvain. Ce n’est pas tout. Le 8 août 1919, un arrêté royal le nomme membre de la commission interministérielle chargée de préparer l’adaptation graduelle des cercles d’Eupen et de Malmédy, qui ont été détachés de l’Allemagne et réunis à la Belgique en application du Traité de Versailles, au régime légal belge. En août 1919, la Ligue d’Union Nationale voit le jour à Louvain 
 : Schicks fait partie du Comité. Il est candidat à la Chambre pour l’arrondissement de Louvain lors des élections du 16 novembre 1919 sur la liste de l’Union Nationale. Opposé à la flamandisation de l’université de Gand, dont le projet est à nouveau porté après la guerre, il devient, en novembre 1922, l’un des vice‑présidents de la Ligue nationale pour la défense de l’université de Gand et de la liberté des langues.

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Le 21 janvier 1919, comme les autres universités, après quatre années de chômage forcé, l’Alma Mater de Louvain rouvre ses cours. Les étudiants retrouvent le chemin de l’université et de la faculté de droit. Le programme de l’année académique 1918‑1919 ne diffère guère de celui d’avant‑guerre. À la faculté de droit le professeur Vliebergh est admis à l’éméritat. Trois nominations de chargés de cours viennent renforcer la faculté. Louis Braffort est nommé pour le droit pénal en français, alors que G. Sap est nommé pour le cours d’économie politique en flamand et Émile Van Dievoet pour les cours de droit pénal et de la procédure pénale en flamand. Les nominations de Braffort et de Van Dievoet auront une grande influence sur le développement futur de la faculté. Braffort sera à l’origine de la création en 1929 de l’École des sciences criminelles et Van Dievoet jouera, outre ses activités politiques, un rôle important dans l’introduction progressive des cours en néerlandais dans la faculté.

Fred Stevens, professeur d’histoire du droit (Université catholique de Louvain/Katholieke Universiteit Leuven)


Indications bibliographiques

Stevens Fred, Waelkens Laurent, The History of Leuven’s Faculty of Law,Bruges, La Charte, 2014.