Les étudiants étrangers en droit en France dans la Grande Guerre


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Les études de droit des étrangers en France

La grande majorité (près de 80 % en 1902) des étudiants étrangers inscrits en 1913 à la faculté de droit de Paris suivent les cours de licence et/ou de doctorat, après avoir présenté un diplôme d’études secondaires reconnu équivalent du baccalauréat français ; un petit nombre (18 %) sont de simples immatriculés qui ne cherchent qu’un certificat d’assiduité utilisable dans leur pays, souvent des juristes en quête de perfectionnement professionnel ; on ajoute à la liste, du fait de leur importance numérique, une soixantaine d’Égyptiens qui ont commencé leurs études à l’École française de droit du Caire et qui viennent passer leurs examens à Paris. Dans les dernières années du xixe siècle, dans le but notamment d’interdire aux diplômés étrangers une installation professionnelle en France – cela vise surtout les médecins, plus que les juristes, qui ne peuvent généralement exercer en France –, sont instaurés des diplômes universitaires créés à l’initiative de chaque faculté française. Le programme et le niveau d’études des diplômes universitaires sont en principe équivalents à ceux des diplômes d’État correspondants. Les licences et doctorats universitaires de droit ne sont institués à l’Université de Paris qu’en 1912, bien après ceux de médecine, sciences et lettres. Les étrangers peuvent aussi suivre les cours d’instituts techniques sanctionnés par un certificat : à Paris, celui de sciences pénales et celui d’études administratives et financières.

Les étrangers dans l’université française en 1914

Lorsque la guerre est déclarée en août 1914, la plupart des étudiants étrangers inscrits dans les universités françaises sont partis en vacances dans leur pays. Peu d’entre eux reviendront se faire immatriculer en France à la rentrée de novembre, soit parce qu’ils ont été mobilisés dans leur pays, soit parce que le voyage est rendu difficile par le conflit, soit par la crainte de leurs parents de les envoyer dans un pays en guerre. Certains pays, dont la Russie, rapatrient leurs ressortissants. En conséquence, les effectifs d’étrangers connaissent une forte diminution en 1914-1915, dans une proportion toutefois moindre que pour les Français, et avec un nombre qui repart à la hausse dès 1916 : par rapport au chiffre de 1913-1914, -69, 5 % en 1915 et -61,2 % en 1917, avec respectivement 1 885 et 2 399 étudiants étrangers. En 1918-1919, leur effectif retrouve le niveau de 1913 (6 044). Les étudiantes étrangères sont peu nombreuses dans les facultés françaises : à peine 1 707 sur 42 037 en 1914 (4 %) ; elles constituent toutefois 40,1 % des effectifs féminins français et étrangers des facultés françaises.

Dans les facultés de droit

Les 16 465 étudiants en droit des facultés françaises représentent près de 40 % de la population estudiantine totale en 1914, largement devant les élèves des facultés de médecine, des sciences, des lettres et de pharmacie. Toutefois, les facultés de droit accueillent moins d’élèves étrangers que les autres facultés : en 1913-1914, ils ne représentent que 14,7 % de l’effectif estudiantin en droit, contre 16 % en médecine, 25 % en sciences et surtout 26 % en lettres. Les effectifs d’étudiants étrangers en droit (1 179 en 1914) diminuent de 80 % en 1914-1915 (à 359), et demeurent presque stables jusqu’en 1918-1919. Ils retrouvent le niveau de 1914 en 1919, à 1 185. Comme les étudiantes en droit françaises, les étudiantes étrangères en droit constituent une faible minorité (0,4 % en 1913-1914) : leur nombre passe de dix-sept en 1915 à quinze en 1917 et ne remonte qu’en 1920 à quarante.

À Paris

Dans l’ensemble des facultés parisiennes, les étudiants étrangers connaissent une forte diminution en 1914-1915 (-71,2 %) et regagnent des positions dès 1916. Par contre, ce sont les étudiantes étrangères, notamment parce que la plupart sont russes, qui connaissent la plus forte hémorragie : par rapport à 1913, près de -74,8 % en 1915 et -80 % en 1917.

La faculté de droit de Paris rassemble, à la veille de la guerre, 46 % de l’ensemble des étudiants en droit de France. En revanche, les étudiants étrangers y sont assez peu nombreux (886), ne constituant en 1913-1914 que 11,7 % de l’ensemble de ses étudiants. Leur nombre diminue des trois quarts en 1914-1915 pour doubler dans les années suivantes. Les 61 étudiantes étrangères en droit ne représentent que 0,12 % de l’ensemble des étudiants à la veille de la guerre et on n’en compte plus que dix en 1919 et quarante en 1920. Après l’Armistice, la faculté de Paris accroît rapidement ses effectifs estudiantins : elle accueille 3 834 élèves en 1919 et 6 975 élèves en 1920, ce qui est presque le niveau de l’avant-guerre (7 569).

En province

Les effectifs d’étrangers de la plupart des universités de province progressent du fait de la guerre. Mais, à l’exception de Grenoble (40,25 % puis 38 %), Montpellier (52,4 %, puis 33,4 %) ou Toulouse (28 % puis 21,1 %), leur poids reste faible dans la population étudiante. Lille est occupée par les Allemands. Quant à Nancy, en 1915-1916, « le voisinage du front [la] place dans une situation d’insécurité particulièrement défavorable, d’autant plus qu’au cours de l’année scolaire, la ville a été bombardée à maintes reprises de jour et de nuit » : la faculté de droit n’accueille que cinquante-cinq étudiants, dont une étrangère. Pour l’année 1916-1917, le rectorat signale la rareté et la dispersion des élèves, d’où des effectifs réduits, « en raison du peu de sécurité qu’offre la ville et du danger des voyages en train dans une région qui est zone de guerre » : il n’y a plus que quarante-sept étudiants en droit et aucun étranger.

Pendant les années de guerre, les effectifs d’étudiants étrangers en droit se raréfient : à Bordeaux ils vont de huit à treize entre 1915 et 1917 ; à Grenoble, de quatre-vingt-quatorze en 1913, ils passent à trente en 1916 et à douze en 1917 ; à Lyon, ils passent de quarante-sept à dix-sept entre 1913 et 1917.

Les nationalités présentes dans les facultés de droit

Quelle est la nationalité des étudiants en droit qui étudient en France malgré la guerre ? Pendant la guerre, on constate l’absence presque totale des étudiants allemands et autrichiens inscrits dans les universités françaises et le nombre encore important des Russes et des Roumains qui n’ont pas regagné leur pays.

Les rapports que doivent fournir les doyens au rectorat, qui les répercutent vers le ministère, nous donnent des indices plus précis. Par exemple à Aix en 1914-1915, on comptait vingt-deux étudiants étrangers en droit : quatre Belges, deux Bulgares, neuf Égyptiens, cinq Grecs et deux Tunisiens. En 1914-1915 à Alger, trois étrangers sont présents, deux Italiens et un Roumain, ainsi que cinq indigènes musulmans ; en 1916-1917, on en compte dix, dont un Anglais, un Espagnol, un Italien, quatre Tunisiens, un Annamite. À Bordeaux en 1915-1916, on relève dix étrangers, dont une femme : deux Serbes, une Russe, deux Monténégrins, un Perse et 3 Égyptiens ; en 1916-1917, quatre Égyptiens, deux Monténégrins, un Perse, un Britannique et un Serbe ; et en 1917-1918, trois Égyptiens, trois Monténégrins, un Perse et un Serbe. La faculté de Lyon offre plusieurs précisions : en 1914-1915, elle attire vingt-cinq étrangers dont huit Égyptiens et sept Bulgares ; en 1915-1916, ce nombre passe à dix-sept, dont quatre Serbes, deux Russes, cinq Égyptiens, deux Japonais et deux Italiens ; en 1916-1917, deux Russes, dix Serbes, un Japonais, six Égyptiens, trois Tunisiens. À Grenoble, en 1916-1917, six Italiens sont inscrits en droit dans une université qui en attire beaucoup. L’université de Dijon, qui signale en juillet 1915 que trente-six étudiants en droit ont été tués, indique n’accueillir pratiquement aucun étudiant étranger en 1915 ; toutefois son rapport pour 1916-1917 signale la présence de dix-huit Serbes inscrits en droit. À Toulouse, en 1915-1916, on signale la présence de deux Russes inscrits en droit.

Parce que les étudiants étrangers sont peu nombreux dans les facultés de droit, ces données ne rendent pas compte de l’ensemble des nationalités présentes pendant la guerre dans les universités françaises. Par exemple, à Toulouse, en 1915-1916, l’université accueillaient trois Argentins, un Belge, quatorze Brésiliens, quatorze Chinois, un Indochinois, trois Égyptiens, vingt-quatre Espagnols, un Américain, dix Grecs, cinq Italiens, un Mexicain, dix-sept Portugais, un Roumain, cinquante-cinq Russes, un Serbe, deux Suisses ; soit les pays méditerranéens très présents avant la guerre, Espagne, Grèce ou Italie, les Égyptiens, les Turcs, les Perses, les Sud-Américains et les Chinois, ainsi que les étudiants coloniaux, Indochinois et Tunisiens. Le cas des Serbes, des Monténégrins et des Belges est particulier, car ils font partie des nations réfugiées. Les étudiants des universités belges sont ainsi autorisés à s’inscrire dans les universités françaises avec dispense de droits d’immatriculation, d’inscription ou de bibliothèque car aucune des universités belges ne peut reprendre ses cours.

Le cas serbe

Le rapport du recteur de Lyon pour 1916-1917 signale que « l’augmentation du nombre des étrangers est due à la centaine d’étudiants serbes accueillis par l’Université, dont la moitié suivait les cours de PCN (certificat d’études de sciences physiques, chimiques et naturelles), l’autre moitié les cours de droit. Ces Serbes ont été accueillis avec sympathie par la ville, d’autant que plusieurs avaient pris part à la tragique retraite d’Albanie ».

La deuxième offensive autrichienne contre la Serbie à la fin de 1915 conduit en effet à la défaite de l’armée serbe, et à une retraite effectuée dans des conditions terribles en hiver à travers l’Albanie vers Corfou, une autre partie se faisant vers Salonique. Évacués de Corfou et de Salonique par différents bateaux français, britanniques et italiens, à la fin de 1915 et au début de 1916, en partie sous l’égide de la Croix-Rouge, une partie arrive à Brindisi et de là part en train à travers l’Italie vers Modane puis Aix-les-Bains, d’où ensuite, par petits groupes de 10 à vingt-cinq élèves, ils sont dispersés dans différentes écoles en France. Une autre partie débarque aux îles du Frioul (Marseille) avant d’être envoyée à Bastia. Enfin un troisième groupe (140) est envoyé en Algérie et comme les précédents, y commencera sa scolarité. Cette retraite rassemble des combattants de tous âges, mais aussi des jeunes gens – élèves âgés parfois de dix ans et moins, lycéens et étudiants. Une grande partie décèdera d’ailleurs dans cette tourmente.

Au 1er août 1918, plus de 17 000 Serbes et Monténégrins se trouvaient en France. Face à cette déroute, la France décide d’apporter son aide aux civils. Le L’Office national des universités et des écoles françaises (Onuef) décide d’accueillir plus de 4 000 Serbes dans ses universités, dans ses écoles secondaires et professionnelles dans le cadre d’un programme de sauvetage de la jeunesse serbe qui ne peut accéder aux études dans un pays ravagé par la guerre. Ce programme est mis en œuvre par le Comité pour l’enseignement de la jeunesse serbe en France, qui veille à disperser les jeunes dans diverses villes françaises. Ces étudiants bénéficient d’une dispense générale des droits d’inscription et d’immatriculation et les dispenses de grades ou de scolarité sont accordées à titre gracieux. La revue des étudiants protestants Le Semeur donne dans son numéro de juillet 1917 la répartition de 423 étudiants serbes par disciplines : 176 étudiants en médecine répartis entre Paris, Montpellier, Bordeaux et Besançon, 147 étudiants en droit répartis entre Poitiers, Montpellier, Rennes, Paris, Dijon et Bordeaux, 100 étudiants en lettres et en sciences répartis entre Paris, Clermont, Dijon, Grenoble et Toulouse. La petite université de Dijon compte de nombreux Serbes : en 1916-1917, ils sont dix-huit sur quatre-vingts étudiants en droit, sept sur cinquante-neuf en lettres ; en 1917-1918, neuf sur soixante-treize en sciences et quatre sur quarante-six en lettres. Le rapport de l’université de Clermont-Ferrand pour 1916-1917 signale une augmentation importante à la faculté des lettres du fait du contingent d’étudiants serbes qui lui a été rattaché (trente-sept, dont six jeunes filles). L’un d’eux mourut en janvier, épuisé par les privations « qu’il avait endurées pendant la retraite lamentable d’Albanie ». L’hébergement et l’entretien de ces étudiants sont organisés par le comité de patronage et les jeunes filles sont accueillies au lycée Jeanne-d’Arc ; des fêtes et des réceptions sont organisées par les notables de la ville. La faculté des lettres organise à leur intention des cours de français et un certificat d’études supérieures françaises et ils sont encadrés par un professeur de l’université de Belgrade.

À l’usage des étudiants et lycéens serbes répartis dans diverses villes françaises, le Comité franco-serbe publie de 1916 à 1918 une revue intitulée La Patrie serbe qui publie des articles sur l’histoire et l’ethnologie de la Serbie, des contes, des nouvelles, des poèmes, ainsi que des informations sur les groupements serbes en France et des hommages aux soutiens et amis français de la Serbie. Des comités des étudiants serbes sont créés à Paris et dans d’autres villes universitaires (Bordeaux, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lyon, Nantes, Nice, Poitiers, Rennes). En mai 1917, le comité de Paris crée un comité de secours aux étudiants serbes prisonniers de guerre et internés.

Le sort des étudiants étrangers

Pour les étudiants étrangers rattrapés par la guerre, en fonction de leur nationalité, le dilemme est : rester en France ou revenir au pays. Pour ceux qui viennent d’un pays ennemi comme les Allemands ou les Autrichiens, le devoir est de rentrer et de s’engager dans l’armée de leur pays ; s’ils sont originaires de Russie, alliée de la France, il leur faut gagner l’armée du Tsar ; enfin, ils peuvent choisir de s’engager dans l’armée française. Le sort de certains groupes d’étudiants étrangers demeurés en France est préoccupant : en mars 1915, Mlle Kellermann, la secrétaire générale de l’Association générale des étudiants de Paris, déclare : « Les étudiants étrangers doivent nous préoccuper, les étudiants slaves sont encore nombreux à Paris, ils reçoivent peu ou point de subsides de leurs familles. »

La plupart des pays d’où viennent les étudiants sont impliqués dans la guerre, ce qui a des conséquences sur la nature et l’effectif des nations représentées à la faculté de Paris, qu’elles soient alliées ou ennemies. Dans le cas des étudiants grecs par exemple, une étude note la dépendance économique de ces étudiants à l’égard des envois opérés par leur famille comme « à l’égard de leur État national, avec lequel ils se trouvent liés en tant que mobilisables, soumis comme les autres nationaux expatriés à l’obligation de défendre la patrie à l’appel de leur gouvernement, même aux dépens de leurs projets d’études ». La situation de la guerre sur le territoire français inquiète les familles grecques, de plus en plus réticentes à envoyer leur fils étudier en France. Certaines optent pour l’envoi en Suisse de leurs enfants. Les élèves grecs des facultés françaises connaissent comme d’autres le problème du financement de leurs études, qui dépend des communications postales, mais aussi l’incapacité de retourner en Grèce en raison des difficultés des transports maritimes et terrestres. Certains s’engagent comme volontaires dans l’armée française, mais beaucoup abandonnent les études pour exercer un emploi. Des œuvres en faveur des étudiants issus de pays alliés ou victimes de la guerre sont créées par les universités : en 1916, un bureau d’accueil pour les Tchèques est ouvert à Paris par l’Onuef qui l’accueille dans les locaux au 96, boulevard Raspail.

La démobilisation et la reprise des cours

Après la signature de l’Armistice le 11 novembre 1918, la rentrée des facultés s’effectue avec un nombre restreint d’étudiants, à l’exception des étudiantes, des anciens combattants et des jeunes gens n’ayant pas fait la guerre. La vraie rentrée n’intervient pour la plupart des étudiants qu’en février 1919. La démobilisation s’avère en effet très lente. Une fois la paix rétablie, la reprise des études des étudiants français et étrangers n’est pas immédiate. Nombreux sont ceux qui restent sous les drapeaux et, pour les étrangers en provenance des pays en guerre, les transports et les communications ne sont pas immédiatement rétablis. La lenteur du retour à la faculté des étudiants démobilisés et les retards dans le rapatriement des étrangers expliquent qu’en 1918-1919, les étudiants étrangers en droit constituent 15 % de l’effectif, alors que cette proportion ne s’élèvera qu’à 10 % en 1919-1920.

La rentrée de 1919-1920 constitue le point de départ d’une progression importante des effectifs d’étudiants étrangers dans la plupart des universités, notamment dans les facultés de droit. La population étudiante totale en France passe de 29 800 étudiants en 1919 à 45 117 en 1920 et à 49 931 en 1921. Dans ce total, le nombre des étudiants étrangers évolue moins vite, car ils mettent plus de temps à retrouver les bancs des facultés : ils passent de 6 044 en 1919 à 5 081 en 1920 et à 6 477 en 1921.

Les étudiants qui regagnent les facultés de droit après l’Armistice passent de 7 735 en 1919 à 13 948 en 1920 (+80 %) ; parmi eux, les étrangers connaissent une progression plus modeste, de 1 185, dont seulement seize femmes, à 1 405, dont quarante femmes. La faculté de droit de Paris accueille 3 834 étudiants en 1919 et 6 975 en 1920 (+82 %) ; parmi eux, les étudiants étrangers passent de seulement 567, dont dix femmes, à 897, dont trente-deux femmes (+58 %).

Les études de droit des étrangers après la guerre

Le décret du 10 janvier 1919 offre des conditions privilégiées aux étudiants démobilisés des classes 1917 et antérieures : par exemple, en janvier 1919, les candidats de la classe 1917 et des classes antérieures sous les drapeaux seront déclarés admis à la première ou à la seconde partie du baccalauréat ès lettres s’ils ont été admissibles aux sessions ouvertes avant ou pendant les hostilités. Des étrangers peuvent bénéficier des dispositions de ce décret à condition d’avoir combattu et d’appartenir aux nations alliées. Toutefois le ministère des Affaires étrangères a admis que des Turcs et des Bulgares puissent bénéficier de ce texte, « par mesure individuelle » : l’assemblée de la faculté de droit de Paris du 30 mars 1922 exprime son opposition à cette mesure.

Au milieu des années de guerre, les autorités universitaires commencent à se préoccuper de la réorganisation des études supérieures à la fin du conflit, et en particulier du régime scolaire des étudiants étrangers. De leur côté, certains pays alliés expriment le souhait d’envoyer leurs étudiants dans les facultés françaises la paix revenue : en mars 1916, la faculté de droit de Paris était saisie d’une demande de l’Angleterre et des États-Unis d’accorder des « facilités » aux étudiants qu’ils lui enverraient après la guerre.

En 1917, l’assemblée de la faculté parisienne se saisit d’un projet de réforme qui concernerait les études de droit tant des Français que des étrangers. Il s’agit de transformer les études pour la licence en instaurant, comme cela existe déjà en sciences, des certificats spéciaux et une diversification des licences. La question de la transformation de la licence et du doctorat universitaires de droit est également posée. En ce qui concerne la licence de droit, elle s’obtiendrait par la possession d’un groupement de trois certificats d’études spécialisés qui donnerait accès à un « diplôme d’études juridiques supérieures ». Ce système ne devrait pas affecter les études des étrangers : si l’enseignement qui leur sera donné ne sera pas identique à celui de la licence française, il faudra leur assurer « la plus grande partie des connaissances qui résultaient de cet enseignement et ne pas instituer des grades dont ils pourraient ne pas vouloir, car l’expérience montre que des diplômes spéciaux à eux réservés ne les tentent guère ». Par ailleurs, « pour les étudiants étrangers qui auront commencé leurs études de droit chez eux, il pourra y avoir des équivalences de scolarité ». En ce qui concerne le doctorat universitaire de droit, il n’est pas question d’en faire un « doctorat recherché, car plus facile », il devra garder la même exigence.

Ce nouveau système verra le jour en 1922. La licence de droit, qui exigeait trois ans d’études, est réformée par le décret du 2 août 1922, destinée à relever le niveau des études juridiques, qui institue quatre diplômes d’études supérieures dont deux sont nécessaires pour le doctorat en droit : droit romain et histoire du droit ; droit privé ; droit public ; économie politique. Le décret du 2 mai 1925 transforme le doctorat en droit, qui ne comportait que deux sections (sciences juridiques, sciences politiques et économiques) par la création de quatre diplômes d’enseignement supérieur préparatoires à ce grade choisis parmi les quatre diplômes d’études supérieures correspondant aux quatre agrégations : droit romain et histoire du droit, droit privé, droit public, économie politique. Il faut détenir deux de ces diplômes pour se présenter au doctorat. Les étudiants étrangers pourront postuler l’un des quatre diplômes.

Les mesures d’accueil des étudiants étrangers après la guerre

De nombreuses mesures sont prises pour faciliter le séjour et les études des étudiants étrangers qui reprennent le chemin des études en France. Des comités de patronage de ces étudiants voient le jour dans chaque ville universitaire ; les associations d’étudiants se multiplient, des bourses leur sont accordées par les ministères et les villes universitaires, voire par des mécènes ; des foyers et des maisons d’étudiants leur sont ouverts ; des cours de langue et de civilisation françaises sont mis en place à l’initiative des universités et des comités de patronage. La faculté de droit de Paris crée à leur intention un certificat d’études générales de droit français et d’économie nationale. Certaines catégories d’étudiants nécessiteux font l’objet de la sollicitude d’organisations d’entraide telle l’Entraide universitaire internationale, d’inspiration protestante, et en particulier les réfugiés russes, allemands, balkaniques, voire chinois, marqués par les guerres.

L’après-guerre invente l’« étudiant-soldat américain ». En pleine guerre, les autorités politiques et universitaires s’étaient accordées pour offrir des cours après la guerre aux soldats alliés venus combattre en France. En février 1918, l’Office national des universités et des écoles françaises (Onuef) lance un appel aux universités françaises pour qu’elles accueillent les « étudiants-soldats » américains après leur démobilisation. La plupart des facultés des lettres répondent favorablement en organisant des cours spéciaux de français et en organisant l’hébergement des étudiants américains. À Paris, l’ensemble des facultés participe à ce programme, dont la faculté de droit qui en accueille 450. Les Américains sont logés dans une famille française ou dans des pensions modestes. L’université de Toulouse répond à l’appel en acceptant d’accueillir 1 223 étudiants ; Paris en accueille 2 000, Bordeaux 350, Rennes 130. En avril 1919, 5 867 étudiants américains ont été répartis entre les universités. Ces cours sont arrêtés en juin 1919.

Les facultés de droit de France poursuivent leur essor dans l’entre-deux-guerres en s’ouvrant à toutes les nations du monde : en 1928, avant la crise économique, elles accueillaient 2 172 Européens (surtout Russes, Roumains, Polonais, Grecs et Allemands), mais aussi 551 Africains (dont 365 Égyptiens et 127 Tunisiens), seulement 61 Américains (dont seulement dix-sept citoyens des États-Unis et quatorze d’Amérique centrale), et 444 Asiatiques (notamment Chinois, Indochinois, Turcs, Syriens), en tout 3 228 étudiants étrangers sur un total de 12 279 présents dans toutes les facultés, soit plus d’un quart du total des étrangers (26,3 %).

Pierre Moulinier


Indications bibliographiques

Cabanis André, Martin Michel Louis, « Les étudiants étrangers en France : notes préliminaires sur leur démographie 1880-1980 », dans Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, vol. 32, 1984, p. 199‑227.

Manitakis Nicolas, « Les migrations estudiantines en Europe, 1890-1930 », dans René Leboutte (dir.), Migrations et migrants dans une perspective historique : permanences et innovations = Migrations and migrants in historical perspective : permanencies and innovations, « Multiple Europe », no 12, Bruxelles, Belgique, Peter Lang, 2000, p. 243‑270.

Moulinier Pierre, La naissance de l’étudiant moderne : xixe siècle, Paris, France, Belin, 2002.

—, Les étudiants étrangers à Paris au xixe siècle  : migrations et formation des élites, Rennes, France, Presses universitaires de Rennes, 2012.

—, « Les étudiants et les étudiantes en France dans la Grande Guerre », dans Annali di storia delle università italiane, no 19, 2015, p. 55‑77.