Ce fils de libraire né en 1843 fait son droit à Paris et sort diplômé en 1861. Professeur de droit romain et de droit commercial à l’université de Dijon (ce dernier domaine étant aussi celui de son collègue Charles Lyon-Caen, également né en 1843, et avec lequel il co-rédigera un livre), il supplée Charles Giraud pour le cours de droit des gens à la faculté de Paris, avant de lui succéder, en 1888. Il enseigne aussi à la nouvelle École libre des sciences politiques, qui fut un vivier pour les internationalistes français. Jurisconsulte au Quai d’Orsay dès 1890, représentant de la France aux conférences de la paix de La Haye de 1899 et 1907, membre de l’Institut de droit international depuis 1882, son aura grandit avec la guerre de 1914-1918.
Louis Renault peut être considéré comme un des fondateurs du droit international – dont la modernisation institutionnelle et académique se fait jour autour de 1880 – en chaire universitaire, en France. Il aurait d’ailleurs souhaité voir le droit des gens recouvrir le champ pratique de cette discipline, le champ théorique étant dévolu au droit international public. Son collègue de l’université de Liège Charles Dejace concède, en se basant sur les premiers travaux de Renault parus en 1879, qu’il « n’existe pas de tribunal supérieur aux États et compétent pour juger les [constatations] internationales ». Il est utile de relever que le juriste, défenseur de ce droit, lui injecte de la légitimité par le biais des « récentes méthodes de l’école historique ». Selon Dejace, ce droit international a toujours existé, sous une forme non codifiée. Lors de ses cours, le professeur revient sur les théories de Grotius, de Wolff, de Vattel, de Thomas Hobbes, cite en exemple le Précis du droit des gens moderne de l’Europe fondé sur les traités et l’usage (1788) du professeur de Göttingen George de Martens (1756-1821), le Droit international théorique et pratique (1881-1884) de l’argentin Carlos Calvo (1822-1906) et considère la création de la Revue de droit international et de législation comparée en 1869 comme le dernier aboutissement de la discipline.
Il faut attendre les années 1880 pour assister à l’érection des premières chaires de droit des gens/droit international autonomes et rénovées quant à leur contenu dans les facultés de droit. En 1874, le juriste belge Gustave Rolin-Jaequemyns souligne à quel point il doit démontrer l’intérêt pratique d’une telle discipline pour un pays neutre où les jeunes docteurs en droit semblent rétifs à ce domaine :
« Je voudrais parler de l’étude du droit international dans ses rapports avec les exigences pratiques de la situation actuelle […]. J’ai réellement un grand désir de donner cette conférence, en vue de laquelle j’ai refusé toutes les autres demandes. Mon but serait de conquérir, parmi ce monde intelligent du jeune barreau, quelques recrues à l’étude sérieuse, approfondie, de donner quelques coups de patte en passant aux jurisconsultes amateurs, et de démontrer l’intérêt spécial du droit international pour les pays neutres, et en particulier pour la Belgique, la Hollande et la Suisse. »
Un premier « cadastre » des chaires de droit international en Europe s’impose. Un courrier daté de 1878 de Gustave Rolin-Jaequemyns à Alphonse Rivier en témoigne :
« Pour l’enseignement du droit international, je compte sur vous pour l’Allemagne et la Belgique. Clunet m’avait promis la France, mais ne m’a rien envoyé. Il prétend que c’est très-difficile ! ? Votre ami Gide ne vous éclairerait-il pas ? Pour l’Espagne et le Portugal, la Grèce et les États-Unis, Landa, Sanpolos et Field sont en défaut. Le mieux sera de nous contenter de ce que nous avons. »
Nous souscrivons totalement à ce qu’avancent Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, dans un article clairvoyant :
« À la veille de la Première Guerre mondiale, les diplomaties des grandes puissances n’accordent en effet qu’une place marginale au droit international. Les ministères des Affaires étrangères sollicitent bien à partir des années 1890 une expertise juridique, qu’il s’agisse de la position de jurisconsulte permanent qu’occupe en France jusqu’à la guerre le professeur de droit Louis Renault, ou de structures spécialisées comme le Conseil du contentieux diplomatique en Italie. Mais les juristes internationalistes qui occupent ces postes restent le plus souvent cantonnés à un travail de techniciens dans le cadre des négociations internationales. »
La session de l’Institut de droit international (IDI), en 1910, se tient dans la capitale française, comme précisé ci-dessus, quelques jours après la décrue des inondations fameuses de janvier-février. Pourquoi Paris ? Il apparaît que certains juristes, et notamment Albéric Rolin, voient dans l’ambiance de ce « foyer de lumière », un humus favorable à la réflexion et à des avancées décisives que La Haye n’a pas permises. Il y a certes une part d’irrationnel, dans cette justification, mais elle ne manque pas d’intérêt, dans la mesure où la France, jusque dans les années 1890, faisait office de membre secondaire de l’IDI sinon de perturbateur. Or, en 1910, la France trouve ses lettres de noblesses chez Albéric Rolin et dans sa voix vibrant d’une francophilie que ne partageait certes pas son frère Gustave, mais qu’il transmettra à son fils Henri. Nous devons y voir, à notre avis, un saut qualitatif de l’image de l’Hexagone dans le milieu des internationalistes, plus particulièrement belges. Celui-ci semble en cours depuis le milieu des années 1890, et, plus précisément, 1894, qui marque la création de la Revue générale de droit international public et la présidence par Louis Renault de la première session de l’IDI tenant ses assises à Paris. En 1910, Albéric Rolin ne manque pas d’emphase dans cette « déclaration », qu’il convient de lire à l’aune des récentes inondations parisiennes de janvier :
« C’est bien souvent de Paris qu’ont jailli ces grands courants de sympathie universelle, d’altruisme international, d’amour de l’humanité qui ont fait tressaillir le monde. Aussi, lorsqu’un désastre frappe cette ville lumière, a-t-il son retentissement dans l’univers entier. Vous en avez la preuve éclatante à l’occasion d’événements trop récents. Et ces événements, malgré tout ce qu’ils ont de navrant, ont mis en relief deux choses : d’abord tout ce qu’il y a de résignation stoïque, de merveilleuse élasticité, de dévouement généreux dans cette population parisienne souvent accusée de frivolité, ensuite le développement merveilleux de cette grande idée de la solidarité humaine qui ne connaît pas de frontières. Plus encore que les Congrès, plus que les Instituts de droit international, ces désastres ont été la manifestation éloquente du progrès de cette grande idée. C’est à Paris en outre, à Paris plus que partout ailleurs, que se sont levés à diverses époques, ces grands semeurs d’idées nouvelles […]. Aussi ne faut-il pas s’étonner que, parmi nos sessions les plus fructueuses, brille au premier rang la session de 1894, tenue sous la présidence de notre illustre collègue, M. Renault. Faut-il rappeler le bilan de cette session ? C’est alors qu’a été voté l’article 1er du règlement rédigé par M. Lehr […] Il est impossible de rêver une moisson plus abondante et plus riche. Tout cela est sans doute d’un heureux présage pour la présente session […]. »
L’économiste et juriste belge Ernest Mahaim n’hésite pas à adopter en 1913 la conception générale de la situation du droit international prônée par son collègue français :
« En résumé, on peut dire, avec L. Renault, que « la vie juridique internationale est née en 1899. On a beau s’en moquer, on a beau la critiquer, dans tous les sens, on ne saurait contester son existence. Il y a là une tentative sans précédent pour soumettre les rapports internationaux à l’empire du droit ». Ajoutons que, malgré les appréhensions que fait naître la situation actuelle, et quoi qu’il arrive, cette vie ne peut plus s’arrêter. »
Il est vrai que les conférences de la paix de La Haye de 1899 et de 1907 ont contribué à nourrir la notoriété internationale de Louis Renault. Il avait déjà participé à une importante expertise, au sein de l’affaire de la baie de Delagoa (de Maputo aujourd’hui), qui divise sensiblement les Britanniques et leurs voisins portugais, colonisateurs de l’actuel Mozambique. Le litige trouve son origine dans la saisie par les Portugais du chemin de fer qui relie la baie à la république du Transvaal, État boer annexé par les Britanniques en 1877 et à nouveau indépendant de 1884 à 1900, avant d’être à nouveau occupé. Cette question est tranchée en 1900 lors d’un arbitrage et inflige une amende aux Lusitaniens. Cette question mobilise l’expertise de juristes français : Louis Renault, Charles Lyon-Caen, Tribunal arbitral du Delagoa siégeant à Berne. Affaire du chemin de fer de Lourenço-Marques (Baie de Delagoa). Consultation délibérée à la requête des demandeurs, Paris, F. Pichon, 1895.
Aux conférences de La Haye, Renault y retrouve Léon Bourgeois, défenseur du pacifisme juridique (ou juripacisme) qui estime qu’un « bon droit international » est la condition sine qua non du solidarisme. Il représente la France, en 1899 et 1907, aux côtés de Renault et d’Estournelles de Constant, lors des deux conférences, où il défendra l’existence d’une commission permanente d’arbitrage international. Un autre juriste à figurer parmi les délégués français à La Haye est Charles Lyon-Caen (1843-1935), professeur de droit civil puis romain et commercial à l’Université de Paris, depuis 1878. Membre de l’IDI, il le préside en 1910 et en 1934. Directeur de la Revue critique de législation et de jurisprudence de 1888 à 1914, il est considéré comme un des pères français du droit commercial, par la publication, aux côtés de Louis Renault, en 1879-1885, des deux volumes du Précis de droit commercial, première somme à dépasser l’exégèse stérile du Code du commerce. Il éprouve un goût prononcé pour le droit international, mais de manière plus marginale.
Louis Renault prendra particulièrement position durant la Première Guerre mondiale et sera surtout sensible à la publication en 1915 d’un ouvrage contesté et contestable de Fritz Norden, La Belgique neutre et l’Allemagne d’après les hommes d’État et les juristes belges, véritable plaidoyer pro-allemand. Les juristes belges Jules Van den Heuvel, Charles de Visscher et Jean Dabin réagiront à ce texte, à l’image de Louis Renault, en 1917. Ce dernier, dont l’autorité est installée depuis plusieurs années en matière de droit international, ne semble pas connaître Norden et a pris ses renseignements dans un ouvrage récent de l’allemand Josef Kohler. Ce dernier avance que Norden est belge, tandis que Renault estime qu’il est plutôt allemand, ne pouvant concevoir une telle « trahison ». Il refuse la réfutation de l’inviolabilité brandie par Kohler, Norden et d’autres, en s’armant d’arguments juridiques, mais aussi du « bon sens » et que l’on retrouvera chez plusieurs juristes que l’on peut qualifier de pragmatiques (Henri Rolin, Charles de Visscher). Louis Renault contredit les écrits de nombreux juristes allemands, non sans regretter, à l’image de son collègue belge Charles de Visscher, l’inféodation de scientifiques au gouvernement national. La perte de l’indépendance d’esprit et de l’apolitisme, si chers à l’Institut de droit international, semble heurter Renault. Le français mentionne les ouvrages parus de Van den Heuvel, mais aussi du sociologue bruxellois Émile Waxweiler, décédé en 1916, ami et émissaire du roi Albert, et dont l’impact à l’étranger fut retentissant, notamment en ce qui concerne la diffusion des atrocités commises en Belgique.
Nous déborderions de notre propos en analysant l’ouvrage de Renault par le menu mais il convient toutefois de souligner que, selon lui, l’Allemagne a débuté le conflit par un « crime initial indiscutable ». Cette appellation, bien propre à la Première Guerre mondiale, contribue à l’inscrire dans un contexte de juridicisation des relations internationales. Il bat en brèche la théorie (défendue par le juriste américain John W. Burgess) selon laquelle l’Allemagne, ayant changé de régime entre 1839 et 1914, n’aurait pas reconduit la reconnaissance de la neutralité belge. Renault rappelle toutefois à ce propos que les 9 et 10 août 1870, Berlin, sous la pression de Londres, a garanti la neutralité, sans pour autant casser le traité de 1839. Par ailleurs, il avance, non sans originalité, que, dans l’ultimatum du 2 août 1914, l’Allemagne suggère à la Belgique de se rendre « complice » d’une agression contre la France, en délaissant sa souveraineté. Nous pourrions résumer l’esprit de son livre par le trait d’esprit que Renault emprunte au poète suisse Carl Spitteler, un des rares alémaniques à condamner l’attitude de l’Allemagne : « Après coup, pour apparaître plus blanc, Caïn a noirci Abel. Or, c’était largement suffisant de l’avoir égorgé. Le diffamer ensuite, c’est trop. »
Désormais septuagénaire, Louis Renault, qui a formé des juristes comme Jean Paulin Niboyet ou Jules Basdevant, fait office de primus inter pares mais aussi de pionnier de la discipline académique qu’est le droit international en France. Il fonde avec Ferdinand Larnaude le Comité pour la défense du droit international. Né en 1853, licencié en droit, avocat à la cour d’appel, professeur à Bordeaux puis à Paris, ce dernier appartient à la tendance radicale. Prenant, dès le 30 septembre 1914, la posture de l’enseignant militant en faveur de la « guerre du droit », au nom de la « France immortelle », Larnaude s’associe au Comité présidé par Louis Renault en même temps qu’il préside le Comité national d’action pour la réparation intégrale des dommages causés par la guerre.
Durant ces années de guerre, Louis Renault occupe la position stratégique de jurisconsulte du Quai d’Orsay, et ce jusqu’à son décès en 1918. À ce titre, la conception qu’il se faisait de sa fonction nous est mieux renseignée à la faveur d’un évènement qui aura lieu en 1927, à savoir la démission de son successeur Albert Geouffre de La Pradelle. Il pose cet acte suite à la désapprobation d’Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, face à une consultation privée du juriste. Il l’oppose à cette occasion à Louis Renault qui a su concilier service de l’État et du droit. La Pradelle n’y voit qu’une critique de sa volonté d’échapper à la « soumission » politique.
Quant à Louis Renault, il conserve l’image d’un fondateur, d’un émancipateur disciplinaire et d’un acteur et témoin, à la fin de sa vie, de l’activation décisive du droit international au cours du conflit mondial qui lui octroiera une importance inédite.
Vincent Genin, docteur en histoire contemporaine (université de Liège)
Indications bibliographiques
Blair Scott G., « Les origines en France de la SdN : la Commission interministérielle d’études pour la Société des Nations », dans Relations internationales, no 75, 1993, p. 277‑292.
Fauchille Paul, « Louis Renault », dans Revue générale de droit international public, vol. 25, 1918, p. 1‑253.
Genin Vincent, Incarner le droit international : du mythe juridique au déclassement international de la Belgique (1914-1940), « Enjeux internationaux », no 43, Bruxelles etc., Belgique, Peter Lang, 2018.
—, Le laboratoire belge du droit international. Une communauté épistémique et internationale de juristes (1869-1914), Bruxelles, Académie royale de Belgique, à paraître, 2018.
Halpérin Jean-Louis, « Louis Renault », dans Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin, Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français : xiie–xxe siècle, Paris, France, Presses universitaires de France, 2007, p. 660.
Renault Louis, « De l’application du droit pénal aux faits de guerre », dans Journal du droit international, nos 1‑2, 42e année, 1915, p. 313‑344.
—, Les premières violations du droit des gens par l’Allemagne : Luxembourg et Belgique, Paris, France, Sirey, 1917.
—, L’œuvre internationale de Louis Renault (1843-1918) : in memoriam, Paris, France, Les Éditions internationales, 1932.
Archives nationales de France, AJ/16/1431, Paris, France.