L’université de Lille et sa faculté de droit dans la Grande Guerre


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Été 1914  : la déclaration de guerre

Avant la rentrée universitaire fixée en novembre, ce sont les cours estivaux de français destinés aux étudiants étrangers qui sont perturbés par l’entrée en guerre au mois d’août. Cette école d’été se déroulait en deux sessions, l’une en juillet et l’autre en août, à Boulogne-sur-Mer. Pour l’été 1914, 216 étudiants y étaient inscrits. Les enseignements portaient sur la littérature, la civilisation française, la phonétique, la grammaire, le style, la lecture, la conversation et la traduction. Sur les 143 étudiants inscrits à la session de juillet on compte 69 Anglais, 35 Allemands, 14 Russes, 7 Autrichiens, 5 Hongrois, 4 Suédois, 2 Hollandais, 2 Canadiens, 2 Français, 1 Américain, 1 Colombien, 1 Finlandais. Le secrétaire de la société de patronage des étudiants étrangers, qui écrit son rapport pour l’été 1914 après la fin du conflit, se remémore l’hospitalisation d’un étudiant allemand, dont les frais ont été payés par la société durant l’année universitaire 1913-1914. Le président de la société s’était déplacé à son chevet pour lui apporter des fraises. Il se demande s’il a survécu aux combats. La session d’août ne compte que 26 participants. Beaucoup se sont décommandés tandis qu’une partie des enseignants a été mobilisée. Les étudiants allemands, autrichiens et hongrois notamment doivent rentrer précipitamment dans leurs pays. On constate ainsi que les échanges universitaires internationaux étaient dynamiques avant le conflit et que l’entrée en guerre ébranle des pratiques plus pacifiques.

L’université de Lille pendant l’occupation

Lille est occupée à partir d’octobre 1914 après avoir subi des bombardements terribles lors du siège. La ville est coupée du reste du pays pour quatre années. L’Université se trouve durant toute la guerre dans une situation très différente des autres universités françaises d’une part du fait des contraintes imposées par l’occupant et d’autre part du fait que les classes ne sont pas mobilisées  : les jeunes bacheliers restent à Lille à partir de l’automne 1915.

Certains professeurs parviennent à regagner Lille avant le début de l’occupation contrairement à d’autres, partis en vacances dans d’autres régions. Les mobilisés ou mobilisables à l’automne 1914 qui n’étaient pas encore partis sous les drapeaux sont évacués de peur qu’ils soient réquisitionnés par l’armée allemande. Une partie des personnels de l’université est concernée. Cependant beaucoup d’étudiants parmi ceux qui passaient l’été à Lille ne parviennent pas à s’enfuir à temps.

Dès l’automne 1914, la faculté de droit doit se réorganiser suite à la mobilisation d’une partie du corps enseignant. Il ne reste plus que 4 professeurs sur 16 et 14 étudiants. Eustache Pilon, doyen de la faculté, est mobilisé. Le début de l’occupation voit les locaux de la faculté réquisitionnés par l’armée allemande.

Les quatre professeurs restant se partagent les cours  : Louis Vallas enseigne le droit civil, Jules Jacquey le droit international et le droit constitutionnel, Paul Collinet, professeur de droit romain se charge également des cours d’histoire du droit tandis que Charles Mouchet se charge d’une partie des cours de droit romain. Il faut remplacer les membres de la faculté qui la représentent au sein du conseil de l’Université (le doyen ainsi qu’Albert Schatz). René Demogue, assesseur du doyen, est muté à Paris le 1er novembre. Collinet et Mouchet sont élus pour siéger au conseil de l’université et un arrêté préfectoral nomme Mouchet assesseur du doyen.

Passée une période de stupeur et d’incertitude, les cours reprennent en février 1915. Les cours de la faculté de droit ont lieu dans les locaux de la faculté des lettres. Des examens sont tout de même organisés durant l’année 1914-1915. Le rapport souligne que le jury a fait preuve d’indulgence envers les candidats compte tenu des conditions d’étude difficiles et de l’anxiété générée par la situation. La rentrée suivante a lieu le 3 novembre 1915, date normale pour l’époque. Les enseignants tiennent à assurer une continuité d’activité. L’argument principal avancé est que la poursuite, même minimale, des enseignements permet de faciliter la reprise et de garantir l’avenir de l’institution. Est également avancé un argument d’ordre moral  : on craint les effets de l’oisiveté sur les jeunes bacheliers qui n’ont pas été mobilisés. Le maintien d’une vie intellectuelle et culturelle «  française  » apparaît comme une forme de résistance à l’occupant. Le rapport annuel note également un afflux d’étudiantes en sciences et en lettres voulant se destiner à l’enseignement.

Les effectifs étudiants de la faculté passent à 31 étudiants pour l’année 1915-1916. Il n’y a toujours que quatre enseignants. Trois praticiens du droit acceptent d’assurer des cours supplémentaires  : François Henri Dejamme, juge au tribunal civil, enseigne le droit civil, Henri Dieudonné Prudhomme, juge également, enseigne le droit pénal et un dénommé Labbe, avocat, enseigne le droit commercial.

Ainsi les cours reprennent, mais la guerre est toujours présente au quotidien et faire fonctionner l’université s’avère difficile. Le professeur Alphonse Malaquin, auteur du rapport annuel sur la situation de l’enseignement supérieur à Lille, note que  :

«  Placée tout à proximité de la ligne de combat, puisque les tranchées s’affrontent à quelques kilomètres de la cité, cette dernière entend fréquemment le choc de la bataille, parfois même des projectiles tombent dans les quartiers de la ville ; les avions viennent la survoler, s’y livrent des combats, sont accueillis par une canonnade intense  ; les convois, les troupes, les véhicules sillonnent ses rues, rappelant aux contingences de la réalité l’esprit qui voudrait échapper à l’obsession et à la vue de l’ennemi.  »

Les contraintes matérielles sont fortes dans la mesure où la poste militaire allemande réquisitionne les locaux de la faculté de droit, les salles de conseil et le grand amphithéâtre. Le laboratoire de l’institut de physique est mis à disposition d’un officier allemand tandis que les laboratoires de pharmacie sont réquisitionnés pour les besoins des recherches chimiques de l’armée allemande. L’hôpital Saint-Sauveur est également réquisitionné. Les activités de la faculté de droit sont accueillies par la faculté des lettres, qui héberge aussi les cours du lycée Faidherbe privé de ses locaux. Les réquisitions touchent toutes sortes de produits comme le charbon, le papier ou le carburant. La ville connaît des pénuries notamment alimentaires et de charbon pour le chauffage.

Le 11 janvier 1916, l’explosion d’un dépôt de munitions à proximité du quartier de l’université vient aggraver la situation. Les vitres du bâtiment de la faculté de lettres sont brisées, des portes arrachées, des cloisons effondrées. Le plancher de l’institut d’histoire de l’art est éventré. D’autres bâtiments sont touchés et de nombreux instruments scientifiques ont été endommagés. En septembre 1916 trois bombes causent de nouveaux dommages au bâtiment de la faculté des lettres.

Durant l’hiver 1916-1917, la pénurie de charbon s’aggrave et met en péril le fonctionnement de l’université. Pour préserver les stocks, les autorités allemandes décident de fermer les locaux scolaires dans le cadre d’une politique de rationnement. Le recteur obtient cependant que les cours puissent continuer s’ils sont organisés dans des locaux privés, qui ne sont donc pas chauffés uniquement pour assurer les cours. Celui-ci met ainsi son logement particulier à la disposition des facultés. Les salles de cours ne peuvent être réutilisées qu’à partir d’avril 1917. L’hôtel académique, où réside le recteur, est détruit dans un bombardement en août 1917. Au cours de la guerre, l’armée allemande réquisitionne tous les objets métalliques  : les plaques calorifères des radiateurs, les lampes (sauf celles de la bibliothèque) ou encore les plateaux des balances.

L’année 1917-1918 voit s’ajouter aux contraintes des restrictions de circulation entre Lille, Roubaix et Tourcoing imposées par l’armée allemande. Professeurs et étudiants ne peuvent bénéficier de laissez-passer dérogatoires pour les activités universitaires. Afin de ne pas pénaliser les étudiants résidant à Tourcoing, une session extraordinaire d’examens est organisée, les professeurs assurant leur organisation bénéficiant d’une autorisation exceptionnelle de circuler entre les deux villes. Les examinateurs tiennent compte des contraintes imposées aux étudiants qui n’ont pas pu aller en cours et n’ont pu travailler que sur les livres empruntés avant les interdictions de circuler. En ce qui concerne les locaux, en 1918, la préfecture est réquisitionnée à son tour et la faculté des lettres est mise à disposition des services du préfet. L’institut de mathématiques abrite alors les facultés des lettres et de droit mais est réquisitionné à son tour quelques semaines plus tard. Littéraires et juristes n’ont alors plus de locaux et doivent improviser.

Évacuations forcées et prises d’otages

Les évacuations forcées et prises d’otages de civils effectuées par l’armée allemande font partie des événements les plus traumatiques pour la population. Enseignants et étudiants furent eux aussi concernés.

La première vague d’évacuations forcées débute en avril 1916. Une partie de la population de la métropole est évacuée dans la campagne ardennaise et contrainte d’effectuer des travaux agricoles. Selon le discours des autorités militaires, il s’agit d’une mesure humanitaire destinée à diminuer les difficultés d’approvisionnement de la métropole. Cinq étudiants figurent sur les listes, dont deux de la faculté de droit, MM. Gardez et Jaeghère.

Le recteur Georges Lyon, philosophe de formation, écrit en 1916 une lettre de protestation adressée au chancelier allemand dénonçant cette décision et soulignant qu’elle entre en contradiction avec les principes juridiques issus de la philosophie des Lumières. Il en appelle à une culture européenne commune portée par les universités mais n’obtient pas gain de cause, la mesure étant prise, selon les autorités militaires, dans l’intérêt des déplacés  :

«  Personne dans cette Allemagne où les grandes collectivités éducatrices qui s’honorent de porter le nom d’Universités orientent les volontés en même temps que les intelligences, ne s’étonnera que celle qui a nom Université de Lille élève et très haut la voix pour prévenir, s’il est temps encore, l’exécution de mesures portant une atteinte irréparable au principe éternel que tant au-delà qu’en-deçà du Rhin tous les façonneurs d’âmes prennent tâche de faire prévaloir […] Ce sont de libres citoyens qui n’ont par aucun acte, aucune infraction aux règles de l’occupant, mérité cette dépossession soudaine de leur habeas corpus. […] Mais il est une aggravation de rigueurs que nul théoricien de la guerre ne voudrait justifier, et c’est ici que se dresse le principe souverain auquel je faisais, en débutant, allusion  : cette aggravation consisterait à méconnaître l’inviolabilité de la personne humaine. […] Ce principe, le plus grand de vos philosophes l’a proclamé en des pages immortelles, comme il avait inspiré l’œuvre entière du plus grand de nos moralistes. Ce principe, vous et nous, l’avons hérité de Rousseau et de Kant ; nous travaillons sans relâche à la graver au cœur des générations qui se succèdent sur les bancs de nos écoles, de nos lycées, de nos universités. […] Le jour où il s’effacerait de la conscience humaine annoncerait le deuil de toute civilisation […] Or je vous le demande, excellence, avec respect, sans parti pris, sans passion, un tel principe, qui est certainement au fronton de votre culture comme de la nôtre […] Laissez-moi invoquer une dernière fois la maxime de celui que nos universités révèrent à l’égal des vôtres, Emmanuel Kant  : la personne humaine doit être traitée comme une fin, jamais comme un moyen.  »

Le 1er novembre 1916, des notables sont emmenés comme otages en Allemagne. L’opération a pour but de faire pression sur les autorités françaises dans le cadre de négociations relatives à des prisonniers de guerre alsaciens. Un professeur de la faculté de médecine fait partie des otages. Une nouvelle prise d’otages a lieu en décembre 1917. Charles Mouchet, professeur de droit romain, est emmené en Lituanie.

Durant l’année 1916-1917, Louis Vallas profite de l’organisation d’évacuations volontaires pour quitter Lille et retrouver sa famille. Il recommande pour le remplacer un dénommé Massart, avocat, mais celui-ci est emmené comme otage. François Henri Dejamme se charge alors de tous les cours de droit civil.

La crainte de nouvelles vagues d’évacuations forcées a un impact sur l’organisation de la vie universitaire. Les étudiants, majoritairement de jeunes hommes qui auraient pu être mobilisés, sont pressentis comme une cible de choix et les cours qui les rassemblent sont vus comme des opportunités de guet-apens. Les emplois du temps ne sont donc pas publics et les cours ont lieu de manière irrégulière, sans grille horaire récurrente. Sans être clandestins ils sont organisés dans la discrétion.

Cette même année 1916-1917, il y a 51 étudiants à la faculté de droit  : les jeunes bacheliers non mobilisés sont en nombre croissant. Cependant seules les personnes résidant à Lille, Roubaix ou Tourcoing peuvent suivre les cours  : l’entrée dans la métropole est interdite. À partir d’octobre 1916 la circulation entre Lille, Roubaix et Tourcoing est interdite  : les étudiants de ces deux communes ne peuvent plus assister aux cours. Une session d’examens extraordinaire est organisée spécialement en décembre-janvier pour MM. Gardez et Jaeghère, libérés et autorisés à regagner Lille en novembre. Malgré le peu de temps dont ils ont disposé pour se préparer ils réussissent leurs examens (vraisemblablement aidés par la bienveillance du jury).

Une nouvelle vague d’évacuations forcées a lieu en juin 1917. Le recteur parvient à négocier un sursis de quelques semaines pour les étudiants figurant sur la liste en arguant de la nécessité pour eux de passer leurs examens. Une session anticipée est organisée pour eux. Le départ, qui devait être simplement reporté, n’a finalement pas lieu et les étudiants concernés sont oubliés par les autorités allemandes.

La même année, toujours pour protéger les étudiants, on avance la rentrée au 1er octobre (au lieu du 1er novembre) afin de les occuper le plus tôt possible et d’avoir une chance d’argumenter en cas de réquisitions pour du travail forcé. Ce décalage est également une opportunité de profiter de journées plus longues et moins froides pour enseigner en période de pénurie de charbon pour le chauffage et l’éclairage.

En 1917-1918, 73 étudiants suivent les cours de la faculté. En octobre 1917, le nombre de professeurs titulaires présents est réduit à trois, puis deux lorsque Charles Mouchet est emmené comme otage en Lituanie en janvier 1918. Paul Collinet assure l’intégralité des cours de droit romain. Les professeurs sont toujours assistés par des juristes bénévoles qui se chargent d’une partie des cours. M. Viel, sous-inspecteur de l’enregistrement, assure le cours d’économie politique qui n’avait pas été donné depuis 1913-1914.

La fin de l’occupation

Le 17 octobre 1918, l’armée allemande quitte Lille. Les dégâts humains et matériels sont considérables. Eustache Pilon, doyen de la faculté de droit, ne cache pas son amertume dans le rapport annuel de la faculté  : «  les tables enlevées ou brisées, les appareils d’éclairage et de chauffage hors d’usage attestaient que chez les apôtres de la kultur il n’y avait nul respect pour les temples de la science.  » Ces mots réaffirment la tension au sein du monde universitaire entre l’idéal de confraternité européenne fondée sur une culture savante commune, invoquée par le recteur Lyon dans son adresse au chancelier ou vécue dans le cadre des échanges universitaires d’avant-guerre, et la mise à distance de l’ennemi, des barbares, favorisée par la colère résultant de l’âpreté des combats. Ils attestent aussi de la diffusion et de l’impact du discours patriotique qui fait de l’ennemi le boche, le barbare, le sauvage…

Si des moyens sont débloqués par le ministère pour remettre les locaux en l’état, les pertes sont également humaines. D’après les enquêtes réalisées dans les années suivant le conflit, 184 étudiants inscrits à l’université en 1913-1914 sont morts pour la France sur 1402, soit 13  % (bien plus si on ne compte que les mobilisés). Une cérémonie d’hommage leur est dédiée le 17 janvier 1921, mettant à l’honneur l’amitié franco-belge. Paul-Emile Janson, avocat et ministre de la guerre de Belgique, est fait docteur honoris causa.

Concernant la faculté de droit, soucieux d’évaluer les dommages subis par sa communauté, le doyen lance une enquête auprès des familles des étudiants inscrits en 1913-1914. Malgré un taux de réponse non négligeable (200 réponses sur 351) étant donné les circonstances, beaucoup de familles ayant déménagé ou n’ayant pas regagné leur domicile, Eustache Pilon évalue le pourcentage d’étudiants morts pour la France à 40  % là où les évaluations évoquées ci-dessus pour l’ensemble de l’université l’évalue plutôt à 13  %. Un taux de réponse supérieur chez les familles endeuillées pourrait être une explication. Deux professeurs sont morts sous les drapeaux  : Louis Boulard dont le doyen souligne «  le dévouement absolu qu’il mettait, en toute occasion, au service des étudiants, allant jusqu’à apprendre le latin à ceux qui l’ignoraient  » ainsi qu’Edgard Depitre.

Rendant hommage aux étudiants décédés dans son rapport annuel, le doyen affirme que leur engagement dans la guerre doit être considéré comme un engagement pour la victoire du Droit, renvoyant à la dimension juridique du conflit dans laquelle s’engagèrent les juristes et à sa traduction dans la propagande de guerre  :

«  Ils étaient venus chez nous pour apprendre le droit. Et tout d’un coup ils sont devenus des maîtres  ; ils ont donné au monde la grande leçon de droit en offrant leur vie pour la cause du Droit […]  »

«  Tandis que les adeptes de la théorie du « contrat-chiffon de papier » occupaient militairement une partie de la faculté, la voix de nos maîtres s’élevaient à côté d’eux pour dire à nos élèves qu’en droit français, le contrat fait la loi des parties contractantes et qu’il doit être exécuté dans sa lettre et dans son esprit.  »

Outre les deux professeurs décédés, quatre sont toujours sous les drapeaux en octobre 1918. Quatre exercent désormais à l’université de Paris  : l’un avait obtenu sa mutation en 1914, deux sont affectés à la faculté de Paris après y avoir exercé durant les quatre années de guerre (ils n’avaient pu regagner Lille occupée) et Paul Collinet est muté à Paris en 1918. La faculté n’a plus que cinq professeurs (les 3 restant à la fin de l’occupation, 2 démobilisés et 2 chargés de cours).

À la rentrée 1918, le nombre d’étudiants de la faculté de droit se monte à 105. De nombreux jeunes gens sont encore mobilisés, et les circulations bien que permises sont encore perturbées ce qui ne facilite pas la fréquentation de l’Université par les non-résidents de la métropole. La faculté met du temps à retrouver son niveau d’activité d’avant-guerre  : on ne compte que 249 étudiants inscrits en 1919-1920 contre 351 en 1913-1914.

Du point de vue de la recherche, deux soutenances de thèse ont lieu durant l’année 1917-1918, ce qui n’était pas arrivé depuis le début de la guerre. Félix Crémont soutient le 14 juin 1918 une thèse intitulée «  La Réforme du contentieux pénal des régies financières  » tandis que M. Mercier soutient le 21 octobre une thèse sur le risque professionnel et l’agriculture (non présente dans le sudoc). Cinq thèses sont soutenues en 1918-1919, dont un travail d’Henri Thellier intitulé «  La succession du mobilisé décédé ab intestat  ». Les professeurs reprennent leurs travaux de recherche. André Morel publie en 1918 une étude intitulée «  Les marchés de fournitures des départements de la guerre et de la marine pendant les hostilités  » tandis qu’Albert Aftalion publie sur la politique commerciale de la France pendant la guerre (1919) ainsi que sur les industries textiles en France pendant la guerre (1924).

Conclusion

L’université de Lille a continué à fonctionner pendant l’occupation, en toute autonomie et sans intervention des autorités allemandes dans l’organisation des programmes d’études, point sur lequel insiste avec véhémence Alphonse Malaquin dans son rapport de 1916  :

«  Notre Université n’a subi aucun contrôle et à l’heure où ces lignes sont écrites, elle doit affirmer qu’elle ne pourrait souffrir aucune ingérence étrangère autant dans le cours de son existence morale et intellectuelle que vis-à-vis de son indépendance de grand établissement scientifique.  »

L’occupation, les contraintes et les destructions qu’elle a entraînées, placent l’université de Lille dans une situation particulière durant la Grande Guerre. Les personnels restant se distinguent toutefois par leur engagement pour maintenir l’institution en activité malgré les difficultés  : isolement du reste de la France, réquisition ou destruction des locaux, pénuries diverses frappant la population, crainte des bombardements, des évacuations forcées et des prises d’otages, restrictions de la liberté de circuler…

Les récits d’événements contenus dans les rapports rédigés pendant et à l’issue du conflit permettent de constater la persistance d’une véritable communauté universitaire au début du xxe siècle, étendue aux étudiants. En effet les professeurs s’efforcent autant que possible de permettre aux étudiants de poursuivre leurs études et de les protéger des évacuations forcées, allant jusqu’à multiplier les sessions d’examens parfois pour quelques-uns seulement. Il faut souligner le rôle et la personnalité marquante du recteur Georges Lyon, qui préside également l’université.

La Grande Guerre et les souffrances qu’elle occasionne est également un ébranlement pour les universitaires, mettant à mal l’idéal d’une culture européenne commune héritée des Lumières et le partage des savoirs permis par les échanges académiques. Elle fait suite à des tensions déjà présentes avant-guerre entre croissance des échanges internationaux et enrôlement de la recherche scientifique dans la compétition entre nations. L’idée de paix deviendra une notion fondamentale dans les échanges intellectuels après 1919 comme moyen invoqué pour surmonter ces contradictions.

Geoffrey Haraux, Chargé de mission bibliothèques numériques et référent CollEx, Service commun de la documentation de l’université de Lille


Indications bibliographiques

Annales de l’Université de Lille 1914-1919 : Rapports annuels du Conseil de l’Université. Compte rendu de MM. les Doyens des Facultés, Imprimerie-Librairie O. Marquant, Lille, France, 1925.

Annales de l’Université de Lille 1919-1920 : Rapports annuels du Conseil de l’Université.Compte rendu de MM. les Doyens des Facultés, Imprimerie-Librairie O. Marquant, Lille, France, 1921.

Aubry Martine, Matthias Meirlaen, Élise Julien, Helin Corinne, Condette Jean-François, Westeel Isabelle (dir.), Octobre 14. L’université commémore la Grande Guerre, 2014.

Condette Jean-François, « L’université de Lille dans la première guerre mondiale 1914-1918 », dans Guerres mondiales et conflits contemporains, no 197, 2000, p. 83-102.

—, « Étudier et enseigner dans les facultés et les lycées lillois sous l’occupation allemande (1914-1918) », dans Revue du Nord, vol. 404‑405, no 1, 2014, p. 207‑239.

Condette Jean-François (dir.), La guerre des cartables, 1914-1918 : élèves, étudiants et enseignants dans la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Calais, Villeneuve-d’Ascq, France, Presses universitaires du Septentrion, 2018.

Lyon Georges, Souvenirs de guerre du recteur Georges Lyon (1914-1918), Villeneuve d’Ascq, France, Presses universitaires du Septentrion, 2016.